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tout rabattu, alles in allem, était heureux. Les gouvernemens, se sentant garantis contre toute injure, contre tout ennemi du dehors et du dedans, n’avaient besoin que de peu de troupes et pouvaient épargner à leurs sujets les charges du service militaire. Malgré les douanes intérieures, le commerce ne languissait pas, l’industrie florissait. Les dépenses ne dépassant pas les ressources, la situation financière était satisfaisante, et on assure qu’elle n’était nulle part meilleure que dans le royaume des Deux-Siciles.

Mais si le prince de Metternich avait quelque souci des besoins matériels, les seuls qu’il prît au sérieux, il n’avait aucun égard pour les besoins de l’esprit, qui lui semblaient factices et de pure convention. Il voulait que le bœuf fût gras, il ne lui permettait pas de penser, de caresser des chimères, de se complaire dans les imaginations dangereuses, de s’arroger des droits abstraits, et il était impitoyable pour quiconque se plaignait : — « Sous le règne de l’empereur François Ier, nous dit M. de Hübner, l’Autriche était un heureux pays, mais ses fils n’étaient pas tous heureux. Qu’il y eût des mécontens, cela ne pouvait échapper au vigilant père de famille, et, dès le début, il considéra comme une des principales tâches de son gouvernement d’étouffer le mal dans son germe. Il en voyait le principe dans les idées nouvelles, qui, parties de France, s’étaient répandues sur les bords du Rhin et menaçaient d’envahir l’Europe centrale. Avant la grande Révolution, jouer avec les doctrines des encyclopédistes passait à Potsdam comme à l’Ermitage pour un agréable amusement. Mais depuis que chaque soldat français, dans ses marches à travers l’Europe, avait laissé tomber de sa giberne quelques graines et que ces graines commençaient à germer sur les grandes routes, les cours du nord et la Sainte-Alliance en ressentaient de vives inquiétudes. On croyait la société chrétienne menacée par la société philosophique ; on voulait la sauver, on fit ce qu’on fait dans les temps de maladies contagieuses : on entoura la monarchie d’un cordon. »

S’il y avait des mécontens à Vienne, il y en avait bien plus encore en Italie, dans ce pays profondément remué, travaillé par les idées de 1789. Comme le remarque M. de Hübner, le parti libéral ou national, qu’on appelait alors le parti français, était représenté jusque dans les cours qui avaient à l’Autriche les plus grandes obligations, dans l’entourage des princes, dans les chancelleries, dans les salons de la noblesse et jusque dans le sacré-collège et dans l’antichambre des papes. A plus forte raison trouvait-il des adhérens dans toutes les professions libérales.

L’Autriche procurait aux peuples la vie commode ; mais sa pesante tutelle, sa police oppressive, sa censure aussi rancunière qu’ombrageuse exaspérait les classes intelligentes, tous ceux à qui ne suffisait pas le bonheur du bœuf gras. M. de Hübner en convient, mais peut-être n’en