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les hommes d’action, eux, se rangent plus volontiers à l’hypothèse du progrès, qui met dans l’humanité le principe de son mouvement et le terme idéal de son activité. Enfin, les savans, qui en sont les auteurs, préfèrent assez naturellement l’hypothèse de l’évolution. Mais aucune de ces trois hypothèses, aucune de ces trois idées n’est parfaitement claire ; et, d’un autre côté, si cependant » l’histoire a besoin de l’une ou de l’autre d’entre elles pour prendre conscience de soi, comme aussi l’humanité pour ne pas mettre le dernier mot de la sagesse dans l’inertie des épicuriens, il est, je le répète, assez difficile de décider entre elles.

Aussi bien, dans les pages qui précèdent, n’ai-je point du tout voulu prendre parti dans la question de la Providence, mais seulement mettre en lumière les trois points que voici :

J’ai voulu montrer d’abord qu’une grande idée, celle de la Providence, dominait ou commandait le système entier des idées de Bossuet. Chrétien sincère, et, si je l’ose dire, catholique passionné, nourri de la moelle des Chrysostome et des Augustin, tous les dogmes de sa religion, Bossuet les a touchés, selon les occasions et les temps, il les a expliqués, il les a éclairés de la lumière de son génie, qui peut-être ne s’est nulle part déployé plus à l’aise que dans l’expression de « ce que l’œil n’a jamais aperçu, de ce que l’oreille n’a jamais ouï, de ce qui n’est jamais entré dans le cœur de l’homme. » Voyez-le plutôt, dans son Histoire des variations, élucider le mystère de la transsubstantiation, ou le dogme de la chute, encore, dans ses Élévations sur les mystères. Mais, de tous les dogmes, s’il en est un auquel il se soit particulièrement attaché, qu’il ait en quelque sorte fait sien, j’ai tâché de montrer et je voudrais que l’on eût vu que c’est le dogme de la Providence. Plus ami, comme je l’ai dit aussi, de la sévérité de la discipline romaine que de la liberté grecque, c’est sur le dogme de la Providence qu’en fondant l’assurance de l’ordre, qui est le premier besoin des sociétés humaines, il a fondé l’apologie de la religion. Et comme il n’y avait pas d’ailleurs une seule manifestation de l’intelligence ou de l’activité qui ne fût enveloppée dans les replis de sa religion, c’est ainsi que toute sa politique, toute sa morale, toute sa philosophie s’est trouvée exprimée en fonction de la Providence. Si ce point était bien établi, Bossuet, dans l’histoire de la philosophie, et peut-être dans celle de l’Église, n’aurait-il pas sa place, qui ne serait qu’à lui, comme l’un de ces anciens Pères auxquels ses contemporains ne craignaient pas de le comparer ? Ne le craignons pas davantage ; et si l’un a été, comme Athanase, le théologien de la Trinité, ou l’autre, comme Augustin, le théologien de la Grâce, disons que, dans cette longue histoire du développement du dogme catholique, Bossuet a été celui de la Providence.