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qui semblent mieux répondre aux exigences de notre logique. Également assurés de la réalité de notre libre arbitre, et de celle de la Providence, nous n’aurions aucun moyen de les concilier « qu’il nous faudrait, pour ainsi parler, tenir toujours comme fortement les deux bouts de la chaîne, quoiqu’on ne voie pas toujours le milieu par où l’enchaînement se continue. » N’a-t-il pas raison, si, tout ce que prouve la contradiction, comme en tant d’autres rencontres, c’est que les deux vérités qui se contrarient ne sont pas du même ordre : l’une, la liberté, s’établissant en fait par l’évidence du sentiment ou par les nécessités de l’institution sociale, et l’autre, la Providence, telle que Bossuet l’a définie, ne nous étant connue que par l’autorité de la révélation.

Je ne pense pas avoir besoin non plus de montrer la liaison du dogme de la Providence avec le dessein principal de l’Histoire des variations des églises protestantes. Assurément, beaucoup d’autres intentions s’y mêlent, et nulle part mieux on ne saurait saisir, ni trouver une plus belle et plus ample occasion d’admirer la complexité, la richesse, la fécondité de la pensée de Bossuet. Ce que la discussion du dogme a de plus métaphysique ; ce que la dialectique a de plus pressant et parfois de plus audacieux ; ce que la narration historique a de plus vivant et de plus coloré ; ce que la critique des textes ou leur interprétation ont de plus épineux, de plus délicat, de plus subtil aussi ; ce que l’éloquence enfin du pasteur qui veut conquérir ou ramener des âmes ont de plus persuasif et de plus convaincant, de plus impérieux et de plus insinuant tour à tour, la promesse et la menace, l’indignation et l’ironie, le conseil et la prière, l’adjuration et l’anathème, tout est réuni dans ce livre qu’à peine quelques curieux lisent encore de nos jours ; — dont Hallam disait qu’il était la plus formidable machine qu’on eût dirigée contre le protestantisme ; — que ceux mêmes qui l’ont lu n’osent pas admirer publiquement ; et qui n’en demeure pas moins le plus beau livre de la langue française, comme joignant à ses autres mérites celui d’en être à la fois le plus sincère et le plus passionné. Mais tout en développant l’histoire des origines et des variations de la réforme, Bossuet y a voulu faire voir en même temps que l’on ne peut rien contre Dieu que ce qu’il veut bien permettre, et que le triomphe de la Providence est de tourner à sa gloire, en le tournant à la confusion des rebelles, tout ce que l’on entreprend contre lui. Lorsque Dieu se retire de nous, et qu’il lui plaît, pour des fins cachées, de nous abandonner ou plutôt de nous livrer aux inspirations de notre sens humain, ni Luther ni Mélanchthon, ni Henri VIII ni Elisabeth, ni l’éloquence ni la science, ni la force ni la ruse, ne sauraient empêcher l’erreur de se diviser contre elle-même, de se trahir en se multipliant, et de rendre à la