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seulement, qu’il l’a développé dans la troisième partie de son Discours. Je ne rappellerai pas avec quelle éloquence. Mais je dirai plutôt avec quelle modération, quels ménagemens, et quel souci, tout en ne cédant rien d’essentiel, de ne rien exagérer d’accessoire. Si bien qu’au fond, pour accepter sa philosophie de l’histoire, non-seulement il n’est pas même besoin d’être chrétien, mais il suffit de convenir de trois points : — premièrement, que le christianisme est sorti du judaïsme ; — secondement, que son apparition demeure toujours, après dix-huit cents ans, le fait le plus considérable de l’histoire de l’humanité ; — troisièmement et enfin, qu’avant et depuis lui, toutes choses se sont passées comme si son établissement en était la raison d’être. On voudra bien faire attention que la science, même la plus prudente, n’en demande pas davantage pour édifier tant de théories ou plutôt d’hypothèses qu’elle considère comme des certitudes ? Nous ne sommes assurés ni que les corps célestes « s’attirent, » ni que les formes vivantes « évoluent » et se changent les unes aux autres ; mais il nous suffit, pour le croire, que l’évolution et l’attraction nous expliquent plus de faits qu’aucune autre théorie qu’on leur puisse opposer. C’est pour cela que je me suis quelquefois demandé si ce que l’on reproche le plus à Bossuet sous le nom d’étroitesse et de médiocrité d’esprit ne serait pas peut-être ce que sa conception de la Providence a de plus personnel, mais surtout de plus large et de plus philosophique ? On ne saisirait pas avec tant d’empressement les moindres occasions qui s’offrent de la contester, si l’on ne reconnaissait pas intérieurement ce qu’elle a de vraisemblance ; et on lui reprocherait moins aigrement d’avoir « manqué de critique » si l’on ne se rendait compte que de la manière dont il a posé la question, il l’a pour ainsi dire élevée au-dessus des chicanes de la critique.

Non pas sans doute qu’il n’y ait plus d’une lacune à signaler dans son Discours ; et même s’il n’y en avait pas, ce serait à désespérer de l’érudition et de l’histoire ! Ayant, par exemple, écrit quelque cent ans avant que l’on sût déchiffrer les hiéroglyphes et les caractères cunéiformes, il est assez naturel que Bossuet ne s’en soit pas servi pour contrôler les récits d’Hérodote et de Diodore de Sicile. Possible aussi qu’il en ait cru trop aisément Xénophon sur Cyrus et Tite-Live sur Ancus Martius ou Tarquin le Superbe. Admettons également, si l’on le veut, que sa chronologie soit fautive : Volney, l’un des premiers, dans ses Recherches sur l’histoire ancienne, s’est donné assez de mal pour le démontrer. Il est vrai que Bossuet lui avait répondu par avance :

Ceux qui se trouveront trop resserrés dans (ma) supputation des années pour y ranger à leur gré tous les événemens et toutes les dates