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miséricordieux pour tous les hommes, et que la mission des prophètes ne fut pas tant de donner à leur patrie des lois particulières que d’enseigner aux hommes la véritable vertu, il s’ensuit que toute nation a eu ses prophètes, et que le don de prophétie ne fut point propre au peuple Juif. » Et Bossuet lui répond : « Les nations les plus éclairées et les plus sages, les Chaldéens, les Égyptiens, les Phéniciens, les Grecs, les Romains, étaient les plus ignorans et les plus aveugles sur la religion : tant il est vrai qu’il y faut être élevé par une grâce particulière et par une sagesse plus qu’humaine ! » Mais, de tous les raisonnemens de Spinosa, celui qu’il ne cesse de combattre, dont on pourrait presque dire que son Discours entier n’est qu’une perpétuelle contre-partie, c’est celui qui fait le fond de l’Éthique aussi bien que du Traité théologico-politique : « Si un phénomène se produisait dans l’univers qui fût contraire aux lois générales de la nature, il serait également contraire au décret de Dieu, et si Dieu lui-même agissait contre les lois de la nature, il agirait contre sa propre essence, ce qui est le comble de l’absurdité… Je conclus donc qu’il n’arrive rien dans la nature qui soit contraire à ses lois universelles, rien qui ne soit d’accord avec ces lois et qui n’en résulte… Et ces lois, bien que nous ne les connaissions pas toujours, la nature les suit toujours, et par conséquent elle ne s’écarte jamais de son cours immuable. » C’est ce que Bossuet, comme on le pense bien, refuse d’admettre un seul instant :


Moïse, et les anciens pères dont Moïse a recueilli les traditions, nous donnent d’autres pensées. Le Dieu qu’il nous a montré a bien une autre puissance ; il peut faire et défaire ainsi qu’il lui plaît, il donne des lois à la nature, et les renverse quand il veut

Si, pour se faire connaître dans le temps que la plupart des hommes l’avaient oublié, il a fait des miracles étonnans, et forcé la nature à sortir de ses lois les plus constantes, il a continué par là à montrer qu’il en était le maître absolu, et que sa volonté est le seul lien qui entretient l’ordre du monde…

C’est justement ce que les hommes avaient oublié : la stabilité d’un si bel ordre ne servait plus qu’à leur persuader que cet ordre avait toujours été et qu’il était de soi-même.


Qui des deux cependant a raison, de Bossuet ou de Spinosa, c’est ce que je ne discuterai point. J’aurais assez gagné si j’avais convaincu tous ceux qui parleront du Discours sur l’histoire universelle de la nécessité d’avoir, en le lisant, l’Éthique et le Traité théologico-politique à portée de leur main. Car peut-être alors ne croirait-on pas qu’en fait de philosophie « Bossuet en est