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dans son Éthique, ou Malebranche dans ses Entretiens métaphysiques, et ailleurs, avaient tiré des doctrines du maître ce qu’elles contenaient d’inévitables conséquences. Alors, il avait bien fallu s’avouer que les principes du cartésianisme, bien ou mal entendus, mettaient en question ou plutôt en péril quelques-uns des dogmes essentiels de la religion : la possibilité du miracle, le péché originel, la vraie notion de la grâce, le dogme même de la Providence. Et qui sait si ce n’est pas pour cela qu’un peu inquiet de ce qu’il y avait de trop cartésien encore dans son Traité de la connaissance de Dieu, Bossuet décida de ne pas le faire imprimer ?

Nous commençons à entrevoir les linéamens de sa philosophie. La philosophie de Descartes est une philosophie de la nature : la philosophie de Bossuet est une philosophie chrétienne. Mais nous ne saurions nous en tenir là. Car, sans cesser d’être orthodoxe, et de demeurer fermement uni au corps de l’église, il y a plus d’une manière d’être chrétien ; il y en a surtout plus d’une, de philosopher, si je puis ainsi dire, dans le vaste sein du christianisme. Pour achever donc de déterminer le caractère original et personnel de la philosophie de Bossuet, c’est au cœur du christianisme qu’il faut l’aller étudier ; c’est dans la nature aussi du génie de Bossuet ; et c’est enfin ou peut-être surtout dans les circonstances qui l’ont obligé lui-même à se la définir. On ne tarde pas alors à s’apercevoir qu’entre tous les dogmes de sa religion, s’il en est un qu’il ait pris à cœur de démontrer et de fortifier, c’est celui de la Providence. Bossuet est éminemment le philosophe ou le théologien de la Providence ; son œuvre entière, vue d’assez haut, n’est qu’une apologie de la religion chrétienne par le moyen de la Providence ; et depuis ses premiers Sermons jusqu’à sa Politique tirée des paroles de l’Écriture sainte, s’il est une idée qui reparaisse dans tous ses ouvrages, qui en éclaire l’intention pour en recevoir à son tour une lumière nouvelle, et qu’il excelle à ramener où et quand on l’attendait le moins, c’est l’idée de la Providence.


II

Je ne dis pas qu’il l’ait inventée. Si je l’osais dire, et qu’il pût m’entendre, cette manière de louer son originalité le ferait frémir d’indignation et de colère. En effet, je parle ici de l’homme qui n’a pas craint d’écrire quelque part : « L’hérétique est celui qui a une opinion. » Bossuet n’a pas eu d’opinion, et il a mis sa gloire, ou plutôt sa religion, à ne rien inventer. Mais, comme il le fait également observer, puisque les mêmes dogmes, selon les temps, les occasions, et le génie particulier des novateurs, sont attaqués de diverses manières, tantôt dans une partie d’eux-mêmes et tantôt