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insouciant ou plus détaché de son propre ouvrage ; et n’est-ce pas d’abord ce qu’oublient ceux qui réduisent la « philosophie » de Bossuet tout entière au peu qu’ils en retrouvent dans ses écrits philosophiques ?

Mais je crains surtout qu’ils ne se méprennent sur la portée de son œuvre, et qu’ils ne se fassent, de la philosophie même, une idée trop courte et trop étroite. La philosophie consisterait-elle à discuter seulement si les qualités de la matière sont en elle ou en nous, si l’espace et le temps sont des choses ou des conditions de notre sensibilité ? Ces sortes de questions, dont je ne méconnais pas l’intérêt, ont quelque chose de trop « scolastique, » au vrai sens, au sens étymologique du mot, et je veux dire par là qu’en dehors de l’école ni l’intérêt n’en est compris, ni peut-être n’en est réel. C’est comme la question de savoir en quoi la nature ou les fonctions propres des « Séraphins, des Chérubins, et des Trônes, » différent de celles des « Puissances, des Vertus, et des Dominations. » Elle appartient sans doute à la théologie, mais la théologie en examine d’autres aussi, de moins excentriques à la vie présente, et si je puis ainsi parler, de plus effectives. Quelque opinion que Bossuet, dans ses ouvrages que l’on appelle philosophiques, ait donc exprimée sur des questions de ce genre, elles ne sont pas sa « philosophie. » Comme la « philosophie » de Voltaire, c’est dans l’ensemble de son œuvre que la « philosophie » de Bossuet est éparse ou plutôt diffuse. Tout autant que dans le Traité de la connaissance de Dieu, c’est dans son Discours sur l’histoire universelle qu’il nous la faut chercher, ou même dans son Histoire des variations des églises protestantes. Elle est encore dans son Instruction sur les états d’oraison, ou dans sa Politique tirée des paroles de l’Écriture sainte. Là est sa métaphysique, là sa logique, là sa psychologie. Là surtout, pour mieux dire encore, est sa conception de la vie, sa manière de résoudre l’énigme de la destinée ; là sont les principes de sa morale ; et là enfin tout ce qu’il convient d’envelopper sous ce nom de sa philosophie, quand on parle d’un homme qui, pendant plus d’un demi-siècle, a plus agi que discouru, et moins disserté que lutté.

Cette manière d’entendre « la philosophie » de Bossuet a plusieurs avantages, et celui-ci premièrement, qui est de décider, en la supprimant, la question de son cartésianisme. Si nous en voulions croire les historiens de la philosophie moderne, — et aussi quelques historiens de la littérature française, — le Discours de la méthode ou les Méditations sur la Philosophie première auraient non-seulement contenu en puissance, mais déterminé en fait toute la pensée du XVIIe siècle, et nous n’aurions, dit-on, ni Pascal ni