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des conseils cantonaux qui ne l’ont pas admis jusqu’ici, ainsi qu’à celle des chambres fédérales. On lui reproche, il est vrai, de diminuer à l’excès l’autorité des assemblées publiques, d’obliger le peuple à émettre son avis sur une foule d’objets qu’il n’est pas à même d’entendre, de multiplier à l’infini les consultations au scrutin, bref, d’énerver la démocratie. Ces argumens ne manquent pas de poids, mais on leur en oppose d’autres qui ne sont pas non plus sans valeur. Avec le referendum facultatif, dit-on, le peuple n’est consulté que lorsqu’un mouvement se manifeste dans le pays contre une question résolue en haut lieu. Il n’a plus dès lors la liberté d’esprit nécessaire pour examiner avec calme l’œuvre de ses mandataires ; il y a autour de lui une odeur de poudre, une présomption défavorable à l’endroit de la mesure plébiscitée. Il n’en va plus de même lorsque les citoyens sont consultés régulièrement sur les décisions politiques ou administratives d’une certaine portée.

Un point déjà signalé, mais à bien retenir, c’est la résistance systématique que le referendum, tant facultatif qu’obligatoire, a eu à surmonter chez la plupart des gouvernans, jaloux de leurs prérogatives. Selon l’adage latin principiis obsta, ils se mirent en travers de ce premier mode d’intervention directe du peuple dans les questions pratiques, qui pouvait aller fort loin et ouvrir la porte à d’autres immixtions. Nous entendons encore les clameurs qu’ils n’ont cessé, jusqu’à ces dernières années, de jeter à ce sujet. Contentons-nous de rappeler quelques paroles d’un discours de M. Welti, le plus ancien membre du conseil fédéral, ou gouvernement suisse : « En appelant le peuple à se prononcer en dernier ressort sur l’œuvre de ses mandataires, s’écriait-il, on a affaibli le sentiment de la responsabilité parlementaire… Le referendum a abaissé le pouvoir législatif au niveau d’une simple commission parlementaire. » Ce violent réquisitoire retentissait au sein des chambres, en 1872. Rien n’y fit. A droit ou à tort, le peuple a voulu être le maître, déplacer de son côté l’axe de la politique, et sans épargner les manifestations de sa volonté à ceux qui refusaient de le suivre, il a poussé sa pointe. Il a généralisé le referendum facultatif et, s’il y renonce jamais, ce ne sera pas pour supprimer le referendum, mais pour le rendre obligatoire.

Depuis l’année 1848, le referendum, soit facultatif, soit obligatoire, et avec une ampleur plus ou moins grande, n’a cessé de faire boule de neige, si bien qu’à l’heure actuelle le canton de Fribourg est seul à ne le pas posséder. Dans le canton de Neuchâtel, il a été étendu au domaine municipal, et il suffit d’une demande du 5 pour 100 de la population active du ressort pour le mettre en branle.