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que de loin, et on lui demande de choisir entre elles ! voilà les embarras de l’ancienne bifurcation qui recommencent.

Ces embarras, qui sont déjà graves pour ceux qui se destinent aux carrières scientifiques, le seront bien plus encore pour les autres ; car enfin on suppose que l’enseignement nouveau n’attirera pas seulement les jeunes gens qui doivent être ingénieurs ou officiers, mais ceux aussi qui ne viennent chercher à l’école qu’une culture générale de leur esprit. De ceux-là, on pense bien qu’il y en aura, puisque, comme nous le verrons tout à l’heure, on leur réserve une classe spéciale. Or on comprend que pour eux le choix soit plus difficile encore que pour ceux qui songent à Saint-Cyr ou à l’École polytechnique. Entre les sciences et les lettres, la différence est tranchée ; il y a là une diversité de nature ; mais entre un enseignement un peu plus ou un peu moins littéraire, où il entre un peu plus ou un peu moins de mathématiques ou de langues vivantes, il n’y a qu’une différence de degrés, et l’on ne voit pas nettement quelles raisons pourront décider un enfant à choisir l’un plutôt que l’autre. On dit d’ordinaire, dans les documens officiels, que ceux-là se décideront pour l’enseignement nouveau qui ne se trouvent « ni l’aptitude, ni le goût, ni le loisir d’étudier les langues anciennes. » C’est une phrase toute faite, mais qui, à ce qu’il me semble, ne donne pas une entière satisfaction à l’esprit. D’abord il ne faut pas parler de loisir. Quand l’enseignement spécial ne durait que quatre ans, on pouvait le recommander à ceux qui n’ont ni le temps, ni les moyens de faire de longues études. Aujourd’hui, il en dure six, juste un an de moins que l’enseignement classique. L’économie est médiocre, et ne peut pas être une raison suffisante pour attirer la jeunesse de ce côté. Je crois aussi qu’on se fait quelque illusion quand on dit que certains élèves n’ont pas d’aptitude pour les langues anciennes, et qu’à la place il faut leur enseigner les langues vivantes. Il est possible que ces dernières soient plus utiles que les autres, mais elles ne sont pas plus faciles. La grammaire des peuples primitifs est toujours la plus simple et la plus logique. A mesure que les nations se fréquentent, elles se communiquent leurs façons de parler comme leurs usages ; leurs idiomes s’empruntent des mots et des tournures, se mêlent et se compliquent. Il me semble donc qu’un jeune homme qui est capable d’apprendre l’allemand et l’anglais apprendrait, s’il le voulait, le grec et le latin. D’ailleurs il faut songer que l’enfant, à son entrée dans ces écoles, aura onze ou douze ans, et qu’il lui sera impossible de savoir s’il est plus apte à apprendre les langues modernes que les anciennes ; il ne saura pas davantage pour lesquelles il a le plus de goût, n’en connaissant aucune. C’est donc sa famille qui choisira pour lui, et, comme