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qu’on rétablirait les collèges à peu près comme ils étaient au moment où la Convention les avait fermés. On aurait dû pourtant se rappeler que ce régime qu’on mettait tant d’empressement à restaurer était depuis longtemps l’objet d’attaques violentes. On lui trouva mille vertus après qu’une bourrasque l’eût renversé ; pendant qu’il était debout, il était loin de sembler irréprochable. Les méthodes étaient presque restées les mêmes depuis la Renaissance : on n’enseignait guère dans les collèges que les langues anciennes, et on les enseignait à tout le monde, sans distinction de fortune ou de position ; or déjà l’abbé Fleury avait dit, en plein XVIIe siècle : « Les gens d’épée, les praticiens, les financiers, les marchands et tout ce qui est au-dessous, enfin la plupart des femmes peuvent se passer du latin : l’expérience le fait bien voir. » On ne voulait tenir aucun compte de la partie de la nation vouée aux professions industrielles, à l’agriculture, au commerce, et l’on oubliait cette vérité proclamée par Richelieu « qu’un État bien réglé a plus besoin de maîtres ès-arts mécaniques que de maîtres ès-arts libéraux. » On paraissait ignorer le grand mouvement de réformes qui avait agité la fin du XVIIIe siècle, les efforts des parlementaires, les systèmes des philosophes, les projets des législateurs pour créer une éducation nationale. Heureusement, ces souvenirs sont de ceux qui peuvent s’obscurcir un moment, mais qui ne s’effacent pas. Une fois la première ardeur de réaction passée, ils se réveillèrent. On se dit que, dans un pays où les conditions étaient si diverses, on ne pouvait pas condamner tout le monde à passer sous le joug des mêmes études. On s’enquit de ce qui se faisait dans les pays voisins, et l’on apprit qu’ils avaient créé des enseignemens particuliers pour le commerce et l’industrie, et qu’ils s’en trouvaient bien. Des hommes politiques qui ne passaient pas pour de grands révolutionnaires, le duc de Broglie, Guizot, Saint-Marc Girardin, Rémusat, prirent l’initiative des réformes ; Cousin, qui revenait d’Allemagne, où il avait vu les Realschalen, fit entendre sa voix solennelle : « Un cri s’élève d’un bout de la France à l’autre, disait-il, et réclame pour les trois quarts de la population française des établissemens intermédiaires entre les simples écoles élémentaires et nos collèges : c’est une affaire d’État. » On se mit donc à l’œuvre, mais mollement, sans conviction, sans décision, sans direction. Pendant tout le gouvernement de juillet et le début du second empire, on hésita, on tâtonna, on fatigua le public de circulaires et de projets de loi ; on institua, sous des noms différens, quelques classes de commerce dans quelques collèges favorisés ; mais rien ne réussit jusqu’au ministère de M. Duruy, qui, en 1865, créa l’enseignement spécial.