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aussi que le jeune empereur n’a pas dû garder de longues illusions. A la vérité, la politique aurait pu être du voyage sous une forme particulière, assez intime. On aurait eu, dit-on, la pensée de préparer le mariage futur de la jeune reine Wilhelmine, qui n’est encore qu’une enfant, avec un prince allemand quelconque, un prince de Wied, un prince de Saxe-Weimar, un fils du prince Albert de Prusse, — et que ne dit-on pas ? Un fils de l’empereur lui-même. Un mariage, c’est encore possible ! Au-delà, il est évident que toutes les tentatives pour entraîner la Hollande dans une triple ou une quadruple alliance resteraient sans résultat. L’empereur a eu beau se faire accompagner de son ministre des affaires étrangères, du chef de son cabinet militaire, du chef du cabinet de la marine ; on aurait beau faire répéter dans des brochures ou dans les polémiques que les Nassau sont de sang allemand, qu’il y a des affinités d’intérêts entre l’Allemagne et la Hollande : ce serait inutile, les Hollandais ne se laisseraient ni séduire par les caresses ni même intimider par les menaces ou les pressions d’omnipotence. Sur ce point, les Hollandais de tous les partis, libéraux, catholiques, antirévolutionnaires, radicaux, sont intraitables. Ils ont le sentiment jaloux de leur indépendance et sont résolus à la défendre. Ils ne sont disposés ni à aliéner leur liberté ni à livrer leurs opulentes colonies à un puissant voisin. Ils entendent vivre en bonnes relations avec tous les grands états et rester neutres dans leurs querelles sans se compromettre dans des ligues politiques ou même dans des ligues commerciales.

Une négociation, même un simple essai de négociation, eût été d’autant plus impossible, qu’en ce moment, à la suite de toutes récentes élections, où la question la plus vivement agitée a été celle de la réforme militaire, de la défense nationale, les libéraux ont obtenu la majorité et qu’il n’y a pas réellement encore de ministère. Le cabinet de M. de Mackay, qui était depuis quelques années aux affaires, ne restait plus qu’un pouvoir provisoire depuis le dernier scrutin ; il attendait le départ des souverains allemands pour remettre sa démission. Le moment eût été mal choisi pour traiter de si graves affaires, et c’est ainsi que le jeune voyageur impérial a pu emporter les souvenirs flatteurs d’une courtoise hospitalité, non des promesses politiques que le sentiment hollandais aurait d’avance désavouées.

A l’heure qu’il est, Guillaume II a cinglé vers d’autres rivages : il est depuis quelques jours déjà sur un théâtre plus vaste et plus favorable, en Angleterre, où il n’avait paru jusqu’ici qu’en passant, presque à la dérobée, en visite de famille, — où il se montre aujourd’hui avec tout l’appareil de la puissance. Il est arrivé précédé par la grande nouvelle de cette récente signature de la triple alliance, à laquelle on affecte maintenant de dire que l’Angleterre se serait intéressée. Il est évident que dans ce monde anglais, où l’on ne fait rien sans raison, il y a