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dans les Balkans. Que l’Angleterre elle-même, par une attitude assez mystérieuse, se laisse attribuer le rôle d’une alliée éventuelle, tacite ou indirecte, on le comprend encore : l’Angleterre se croit intéressée à diviser l’Italie et la France, à pouvoir disposer des forces navales italiennes dans la Méditerranée. Chacun a son arrière-pensée, sa tactique. On ne voit vraiment pas quel intérêt a eu l’Italie, pour sa part, à se précipiter encore une fois dans une alliance qu’elle a déjà payée de plus d’une déception, du déficit dans ses finances, de l’appauvrissement de ses industries, de la ruine de son commerce. Au fond, l’Italie a tout l’air d’expier aujourd’hui les arrogances de M. Crispi, les fantaisies diplomatiques de ceux qui l’ont entraînée une première fois dans ces combinaisons, — peut-être aussi un faux calcul dynastique. Elle a signé visiblement sans conviction, parce qu’elle a cru ne pas pouvoir faire autrement, parce qu’elle a craint, en reprenant son indépendance, de se trouver dans une situation diminuée. Elle a subi la fatalité qu’on lui a faite, en protestant d’ailleurs qu’on n’a que des intentions pacifiques, qu’on ne veut que maintenir le statu quo en Europe et dans la Méditerranée, — ce fameux statu quo qui revient dans tous les discours et qu’on ne définit jamais. M. di Rudini parle comme l’empereur d’Allemagne, peut-être seulement avec moins de joyeux entrain. Le chef du cabinet du roi Humbert, on le sent, a quelque peine à se tranquilliser lui-même en essayant de tranquilliser l’Italie.

Quant à la position faite à la France par le renouvellement récent de la triple alliance, elle reste en vérité ce qu’elle était, elle n’a rien de nouveau ni d’imprévu. La France y est depuis longtemps accoutumée ; elle aurait été bien aveugle, bien incurablement frivole si elle s’était fait la moindre illusion, si elle ne s’était pas toujours attendue à l’acte de diplomatie qui vient de s’accomplir. C’est tout simplement la continuation du système de suspicion et de haute police diplomatique organisé contre elle. Après avoir fait tout ce qu’on a pu pour l’isoler, on s’efforce de prolonger son isolement, en resserrant les alliances, en cherchant partout des adhérens ou des complices. On n’a pas besoin de recourir sans cesse à des euphémismes pour déguiser une réalité qui est assez criante. On peut être tranquille, la France ne s’y méprend pas ; elle sait à quoi s’en tenir, et puisqu’on s’étudie si bien à l’isoler, elle accepte sans forfanterie et sans faiblesse un isolement qui a sans doute ses dangers, mais qui a aussi ses avantages, qui lui crée dans tous les cas l’obligation de rester armée pour sa défense, de garder la disponibilité de ses forces, de surveiller ses finances, d’être en un mot prête à tout événement. C’est la politique des autres qui lui dicte la seule politique qu’elle puisse suivre, la politique de réserve et d’observation. Elle n’a pas même à affecter d’opposer des combinaisons à des combinaisons, à chercher à son tour des alliés, qu’elle peut après tout trouver sans rien sacrifier de son indépendance et de sa dignité :