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conseil municipal, qui, lui, dans sa facétieuse omnipotence, a trouvé piquant d’imposer au bon bourgeois parisien, comme au gouvernement, l’image du héros de la Terreur. M. le ministre de l’intérieur n’a rien pris au tragique ; il a même avoué assez plaisamment qu’il ne savait pas, au moment où il parlait, si le gouvernement était invité à la cérémonie. On ne se tire pas d’affaire plus lestement ! Toute la question est de savoir si ce simple incident n’est pas un signe de plus des troubles croissans d’opinion, des faiblesses du gouvernement pour toutes les exagérations, si c’est un acte bien politique de perpétuer les divisions par l’évocation autorisée, légale, des plus cruels souvenirs, si on croit enfin servir et accréditer la république, à l’intérieur comme au dehors, en la laissant représenter sous les figures les plus sinistres.

Le danger le plus réel aujourd’hui peut-être est cette confusion universelle à la faveur de laquelle on se prête à tout, et on laisse tout faire, encourageant ou tolérant, dans les commémorations de la révolution, les apothéoses irritantes, et dans les affaires ouvrières les revendications vagues, irréfléchies ou démesurées qui n’auraient d’autre effet que la ruine du travail. Sans doute, dans ces affaires qui prennent chaque jour une importance croissante, il y a aussi ce qu’on pourrait appeler la part des vœux légitimes, des réformes possibles, nécessaires à réaliser ; sans doute, c’est une obligation pour les pouvoirs publics de suivre d’un regard attentif ce vaste mouvement qui pour être confus n’est pas moins sérieux, de rechercher sans cesse ce qu’on peut faire pour relever ou garantir la condition morale et matérielle des populations laborieuses. Malheureusement, il est trop clair qu’en abordant à la fois et avec plus de bonne volonté que de précision toutes ces questions de salaires, de réglementation du travail, de protection des femmes et des enfans dans les manufactures, d’assurances, de retraites, de syndicats, de grèves, on finit par ne plus savoir ce qu’on fait et où l’on va. On excite des espérances qu’on ne pourra jamais satisfaire ; on tente des expériences qui, sous l’apparence d’une réglementation protectrice, menacent toutes les libertés ; on cède, pour un bien de paix, à des pressions qui redoublent à mesure qu’on essaie de les désarmer. Comment le sénat se tirera-t-il de sa loi sur le travail des femmes et des enfans ? Il discute, certes, cette loi sérieusement, avec toutes ses lumières et avec tout son zèle. Il n’a pas tardé à s’apercevoir qu’on lui proposait une série d’impossibilités, notamment une atteinte des plus graves à l’inviolabilité du domicile. Comment règlera-t-on cette question des syndicats qui devient de plus en plus pressante ? Lorsqu’il y a quelques années on a fait la loi sur les syndicats, on a cru simple et naturel de décider que des ouvriers éprouvés par un long travail dans leur industrie pourraient seuls être appelés à former les comités des syndicats. On n’en a tenu compte, — et des syndicats ont dû être dissous parce qu’ils étaient illégalement composés. Aussitôt, les