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entre amis, à force de déclamations et de conférences. Par surcroît, les empereurs, en favorisant le progrès démocratique, émancipent le latin populaire, seul admis au théâtre avec les mimes et les grosses farces. Au-dessus de la foule, on voit bien se dessiner une oligarchie financière. Mais elle est très mêlée en ses élémens, elle se recrute surtout dans le peuple et dans les provinces. Qu’ils viennent d’Afrique ou de Gaule ou des faubourgs de Rome, ces parvenus, si instruits qu’on les suppose, ne parleront point comme Scipion ou César ; souvent même, comme le Trimalcion de Pétrone, ils apporteront avec eux leur langage populacier : et, en fin de compte, c’est toujours le latin vulgaire qui plus ou moins se fera comme eux accepter de la meilleure société. A la cour impériale, ceux qui donnent le ton, ce sont bien souvent des affranchis, d’origine barbare et mal dégrossis. Rome est livrée en proie aux étrangers : on s’y précipite de tous les points de l’horizon, depuis qu’on a vu tant d’aventuriers, débarqués en modeste équipage, arriver vite à la fortune, au sénat, même à l’empire. Tous ces gens-là, il est vrai, s’essaient à bien parler ; mais ils n’y réussissent guère. Ce qui manquait le plus alors dans les hautes classes sociales, c’étaient les citoyens instruits, nés à Rome d’une bonne famille romaine, et ceux-là seuls auraient pu garder assez fidèlement la tradition du beau langage.

Une autre cause de désorganisation du latin savant, ce fut l’extension même de la domination romaine. En principe, c’est Rome que l’on copie dans toutes les parties de l’empire ; mais, en fait, les diverses régions de l’Italie et les provinces réagissent dangereusement sur le langage de la capitale.

Déjà, dans les derniers temps de la république, on avait remarqué que le latin littéraire s’altérait dès qu’il franchissait les murs de Rome. L’urbanitas, disait-on, faisait défaut aux orateurs qui avaient eu le malheur de naître dans les autres villes du Latium. Cependant, depuis la guerre sociale, l’usage du latin s’était répandu dans l’Italie entière. On ne pouvait toujours proscrire les façons de parler des différens districts. Peu à peu, elles entrèrent dans le latin littéraire ; et Quintilien fait cette déclaration significative : « Je considère comme romaines toutes les expressions usitées en Italie. » Les gens de lettres se mirent donc à employer des termes et des locutions qui n’étaient plus le bon latin de Rome, et, malgré tout le talent de Tite-Live, on s’aperçut toujours qu’il venait de Padoue. Or qu’étaient donc ces mots, ces formes italiotes qui obtinrent peu a peu droit de cité ? C’était le latin vulgaire que les colons avaient emporté avec eux et qui s’était encore gâté dans le voisinage de tous les vieux idiomes de l’Italie.

Ce fut bien pis hors de la péninsule. A mesure qu’ils ajoutaient