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roi de Cornouailles, que Malgven mourut subitement, ne laissant au roi qu’une fille née en mer pendant leurs aventures, et qui s’appelait Dahut.

A partir de ce moment, le roi tomba dans une tristesse noire. Il se plongea dans le vin et la débauche, mais sans parvenir à oublier Malgven. Cependant Dahut grandissait et ressemblait à sa mère. Seulement sa beauté avait quelque chose d’effrayant. Sa peau était plus blanche, sa chevelure d’un roux plus foncé. Son œil changeant comme la mer roulait des désirs plus immenses et lançait des éclairs plus prompts. Elle seule avait le don d’égayer Gradlon. En la regardant, il croyait revoir Malgven. Quelquefois, la main enroulée dans les cheveux fauves de sa fille, ses yeux las, perdus dans les yeux étincelans de vie de Dahut, il lui disait : « Ah ! fille de mon beau poché, perle de mon noir chagrin, par toi seule je tiens à la vie ! » Elle lui souriait, dangereusement enjouée ; mais dans ses yeux, son âme reculait en un rêve insaisissable et trouble. Elle prit sur son père un empire absolu. Toute petite, elle éprouvait pour l’Océan une singulière attraction. Sitôt qu’elle l’apercevait de loin, ses yeux, ses narines se dilataient. Elle en respirait les effluves et semblait vouloir se précipiter vers les plages. Afin d’être plus près de son élément préféré, elle persuada à Gradlon de faire construire une ville, au bord de la mer, dans une grande et magnifique baie qui regarde l’Océan, tout au bout de l’Armorique. Le roi y consentit. Des milliers d’esclaves lurent employés à ce travail. On construisit une digue immense pour protéger la ville contre les flots, et derrière cette digue un bassin destiné à recevoir les eaux de l’Océan dans les grandes marées. Une écluse était pratiquée dans la digue ; en l’ouvrant à la marée montante, on laissait entrer l’eau nécessaire au renflouement des barques. On la fermait à marée haute pour ne la rouvrir qu’au reflux. Alors le bassin se vidait et on péchait à foison sur la vase, monstres marins et poissons.

Dahut fit construire pour elle et son père un palais magnifique, dominant la ville, sur un rocher, au bord de la mer. Quelquefois, quand le soleil couchant enflait la vague, les pêcheurs voyaient, de loin, une forme blanche descendre sur la plage déserte, au pied du rocher couronné par les tours massives du château royal. C’était Dahut, qui voluptueusement se baignait dans cette crique sauvage et se livrait à de singulières incantations avec son élément favori. Après s’être longtemps jouée sur les vagues, comme une sirène, elle en sortait lentement, et toute nue, debout sur le sable fin, luisante comme la nacre, elle peignait ses longs cheveux roux en laissant ruisseler l’écume sur ses flancs et en chantant un chant