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défila-t-elle devant cet îlot pour recevoir la consécration des prêtres et des prêtresses groupés sur ce tumulus et entourés de toute une population de vieillards, de femmes et d’enfans. Ils étaient venus de loin pour voir partir les lourds navires, charpentés en chêne, hauts comme des tours de siège, chargés de tout leur espoir, où reluisaient les cottes de mailles, les casques et les javelots de leurs fils, de leurs maris et de leurs pègres. Druides et druidesses, les bras étendus, avaient invoqué les ancêtres d’une longue clameur et jeté sur les navires une pluie de verveines, de primevères et de trèfles. — Hélas ! toute cette flotte ne devait pas revenir. Le terrible proconsul la coula à fond : les sénateurs vénètes moururent dans les tortures. Toute la population fut vendue à l’encan, sous la lance, et dispersée dans le monde. — Ainsi périt la noble nation des Vénètes. Mais la conscience de l’Armorique a survécu dans ce cri : Me zo deuzar armoriq. « Et moi aussi, je suis Breton ! »


II. — LA BRETAGNE PAÏENNE, LA POINTE DU RAZ ET LA LÉGENDE DU ROI GRADLON.

La Gaule asservie, latinisée, colonisée, le génie celtique se réfugia en Armorique. Pendant trois siècles, elle subit le joug des légions et du fisc romain, avec d’incessantes révoltes. Une partie de la population se réfugia en Grande-Bretagne, cet asile des druides et des bardes. Mais, au IVe siècle, Mériadek revint en Armorique et en chassa les Romains. Du IVe au IXe siècle, la Bretagne resta indépendante. Cette époque, appelée la période des rois dans l’histoire de notre province celtique, est remplie par des guerres intestines. Quelquefois un chef réunit tous les autres sous son autorité et réussit à délivrer le pays d’une invasion de Franks ou de Normands. Il prend alors le titre de pen-tiern, de conan ou de roi d’Armorique. Aussi les noms de Mériadek, de Gradlon, de Noménoé et d’Alain Barbe-Torte résument-ils l’histoire bretonne de ces temps. Epoque héroïque, barbare et sauvage, où éclate le côté païen de l’esprit celtique.

Si le Morbihan est le sanctuaire d’un monde préhistorique, le Finistère, avec les prodigieux récifs et les baies profondes de la côte ouest, est le centre principal de cette Bretagne bretonnante, indépendante et païenne. Il nous en reste une série de traditions qui plongent dans le fin fond du paganisme et une légende originale. Allons la chercher dans le cadre océanien où elle est née, à