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le juif a été le plus avili, aux deux ou trois derniers siècles. Chaque race, chaque religion peut se personnifier dans quelques hommes qui en sont comme la plus haute expression. Il en a été ainsi d’Israël, au sortir même du ghetto, alors que pesaient encore sur lui les lourdes lois et les lourds préjugés qui l’ont si longtemps écrasé. Veut-on voir, par un exemple, ce que peut donner le vieux fond juif au contact de notre civilisation ? je citerai un homme qui me semble particulièrement « représentatif » de son peuple et de sa foi. C’est Moïse Mendelssohn, l’ami de Lessing et le grand-père du compositeur. Ce petit juif du Nord qui, par sa vie, plus encore que par ses écrits, a tant contribué au relèvement de sa race en eût pu être le symbole vivant. Petit, laid, gauche, difforme, le fils de Mendel, le copiste de rouleaux de la Thora, n’avait rien de ce qui charme les yeux ou séduit l’imagination. La première fois que le vit sa future, la fille du banquier, qui, sans le connaître, s’était éprise de sa jeune renommée, elle le trouva si disgracié que le courage de l’épouser lui manqua. Le pauvre philosophe se retirait déjà, lorsque la jeune juive, le rappelant, lui fit cette question inspirée du Talmud : « Est-il vrai que les mariages se décident dans le ciel ? » La réponse affirmative de Mendelssohn décida du sien. Et la riche jeune fille, assez avide d’idéal pour donner sa main au petit bossu, n’eut pas à se repentir d’avoir cru que le ciel avait pu combiner une aussi bizarre union. Si la taille de Mendelssohn était basse, son âme était haute, et si son corps n’était pas droit, son cœur l’était. Nous avons dit que, chez le juif, le caractère était généralement au-dessous de l’esprit, et voilà que le premier représentant du judaïsme dans la société moderne nous donne un démenti. L’auteur du Phédon, le « Socrate de Berlin, » était justement plus grand par l’âme que par le génie. Comparez-le aux plus célèbres de ses contemporains, à nos grands Français spécialement, à Voltaire, à Rousseau, à Diderot, à Mirabeau, qui l’a connu, l’avantage moral n’est pas de notre côté ; pour la noblesse du caractère, la dignité de la vie, la générosité des sentimens, le juif fait honte aux chrétiens. Et cette facile supériorité sur des chrétiens infidèles à l’esprit du Christ, le fils d’Israël la devait à sa foi et à sa loi. C’est le respect de la loi et de la règle, l’habitude de la discipline morale, l’union aisée de la raison et de la foi ; c’est le sens intime de ce qu’il y a de sain, de pondéré, de mesuré, dans la Thora et dans la tradition d’Israël, qui ont fait de Mendelssohn un sage, avant que Lessing ne l’ait pris pour modèle de son Nathan der Weise. Et ici vous vient une réflexion. De même que le type idéal du chrétien, le summum de la vertu évangélique, est le saint, — la cime la plus haute à laquelle ait jamais atteint notre pauvre espèce humaine, — on pourrait dire que le type