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pour le combat ; et dans les batailles de la vie moderne, qui ne sont pas des tournois de chevaliers, ses défauts le servent presque autant que ses qualités. Aussi réussit-il dans le monde. Pour employer le jargon fin de siècle, le juif est le grand strugglefortifer de notre continent. Sommes-nous sincères, c’est là ce qui lui vaut le plus d’ennemis.


IV

Tel est le juif que nous ont légué les âges ; mais, corps et âme, ce juif est un produit du passé, et il tend à se modifier avec les temps nouveaux. Défauts et qualités s’atténuent chez lui, s’émoussent, s’effacent peu à peu, à mesure que s’épure ou s’élargit l’atmosphère où il vit. Aucune race ne subit aussi rapidement l’action du milieu. Il y a, chez elle, une sorte de rénovation physique à la fois et morale. Rappelons-nous que la faculté maîtresse du juif est la souplesse, le don d’adaptation. Nous l’avons déjà remarqué : il se fait, avec une incroyable facilité, à nos modernes conditions d’existence ; et, en prenant nos mœurs, il prend, plus que nous ne le croyons, nos idées et nos sentimens. Regardez ce petit juif de Russie, qui nous arrive en caftan râpé et en casquette de velours ; s’il garde, toute sa vie, son accent et sa gaucherie, les enfans qu’il traîne à sa suite seront, dans une quinzaine d’années, des Français, des Anglais, voire des Américains. C’est par la tête que commence la métamorphose, par cette tête juive qui se vide si aisément de toutes ses idées orientales pour se remplir des nôtres. Le cœur, les sentimens changent plus lentement ; c’est une conversion qui demande d’habitude plusieurs générations. Aussi certains juifs nous font-ils penser à ces êtres fabuleux dont la tête appartient à une espèce et la poitrine à une autre ; parfois on dirait d’une tête française ou allemande sur un buste d’Oriental du moyen âge. Souvent aussi la métamorphose a été trop brusque pour être complète. Ces israélites français ou anglais, dont les pères nous sont venus de Pologne ou d’Allemagne, ont fréquemment, pour nous, quelque chose qui détonne. Un regard, un mot, un geste met subitement à nu le vieux fond juif. « Grattez l’israélite, me disait un de mes amis, vous trouverez le juif du ghetto. » Cela n’est pas toujours vrai. Ce que nous prenons pour le juif n’est souvent que l’étranger, l’homme d’un autre pays, d’une autre éducation. Ce que l’on sent percer chez l’israélite civilisé, ce n’est pas tant le juif que le parvenu ; nous confondons souvent l’un avec l’autre, d’autant qu’ils font corps ensemble.

Des parvenus ! La plupart des juifs de notre connaissance le sont