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sur la scène, déploient une vigueur et une énergie indomptables. La vie, chez lui, a des ressources latentes.

Aucune race ne présente moins l’aspect de la force, et aucune n’offre plus de résistance au mal. C’est que, pour l’âme, comme pour le corps, au moral aussi bien qu’au physique, le juif est le produit d’une sélection, et d’une sélection de deux mille ans, la plus rigoureuse et la plus douloureuse à laquelle êtres vivans aient jamais été soumis. S’il y a des rangs dans la souffrance, a dit un des siens, Israël a la prééminence sur toutes les nations[1]. Tout ce qui était trop faible, d’âme ou de corps, a été éliminé par la mort ou par le baptême. Israël a été comme une famille dont, à chaque génération, les enfans auraient en naissant été exposés. De là, chez le juif, une endurance au mal, une capacité de souffrance sans égale peut-être dans l’histoire. Mais l’épreuve a été si longue et si rude qu’Israël s’en ressent toujours. Il en est encore parfois tout courbé et comme brisé.


I

Quand on songe à la singularité des conditions d’existence longtemps faites aux juifs, on ne s’étonne point que, pour le physiologiste ou pour le statisticien, le juif présente certaines particularités. Un premier fait, de nature à surprendre : le juif vit plus longtemps que le chrétien. Ce petit juif, au corps frêle et à la mine souffreteuse, semble souvent réunir deux choses en apparence contradictoires : la précocité et la longévité. Pour la longévité, — plus facile à constater, — il n’est guère de doute. Le fait est si constant qu’en certains pays, en Amérique, par exemple, les juifs sont les cliens les plus recherchés des compagnies d’assurances sur la vie. Presque partout, là, du moins, où les lois ne s’appliquent pas à leur rendre l’existence impossible, la vie moyenne est sensiblement plus longue chez les juifs que chez les catholiques, les protestans ou les orthodoxes. Et cela n’est pas seulement vrai des israélites français et des pays comme la France, où les juifs appartiennent surtout aux classes aisées. Il en est de même des juifs pauvres d’Allemagne, de Hongrie, d’Angleterre, de Roumanie[2]. Il en est de même, semble-t-il, des juifs d’Amérique. J’ai sous les yeux les premiers résultats du dernier recensement des États-Unis en 1890. D’après le Census américain, les chances de vie de l’enfant, au

  1. Zunz, Die Synagogal Poésie des Mittelalters.
  2. Voyez, par exemple, le docteur Gustave Lagneau : Remarques, à propos du dénombrement de la population, sur quelques différences démographiques présentées par les catholiques, les protestans, les israélites. Paris, 1882. Cf. Isidore Loeb : Dictionnaire universel de géographie, de M. Vivien de Saint-Martin, article : Juifs.