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qu’elle avait subie et s’est montrée injuste envers un savant de bonne foi qui n’a péché que par excès de condescendance et par une faiblesse trop commune chez les hommes que le courant de la popularité emporte et qui ne savent pas résister aux séductions d’une célébrité d’un moment. Jamais savant n’a été l’objet d’ovations pareilles. Robert Koch a été pendant deux mois le point de mire de tous les regards, l’objet de tous les enthousiasmes. Ce beau rêve a été suivi d’un bien douloureux réveil ; mais il reste au docteur Koch ses découvertes antérieures, la juste notoriété qui s’attache à son nom et l’avenir qui ne fait jamais défaut aux hommes de science, lorsqu’ils sont persévérans et qu’ils savent profiter des leçons qu’ils se sont attirées.

Cette aventure n’a pas découragé les travailleurs ; elle n’a fait que redoubler l’ardeur des recherches dans les laboratoires. Elle a du même coup stimulé le zèle des empiriques. La guérison de la phtisie a repris faveur dans le monde de la réclame, et les remèdes infaillibles ont surgi de tous les côtés. Cette activité malsaine passera, comme d’habitude, après avoir fait quelques dupes ; mais les recherches scientifiques poursuivront leur cours, et peut-être un jour parviendront-elles à atteindre le but. La bactériologie nous a, depuis vingt ans, ménagé de telles surprises ; elle a produit des résultats si splendides et si imprévus qu’il ne faut pas désespérer de la voir arriver, avec le temps, à résoudre le grand problème que la médecine poursuit vainement depuis qu’elle existe.

Les bacilles de la tuberculose ne doivent pas être plus rebelles que la bactéridie charbonneuse, que les microcoques de la suppuration, que le microbe encore inconnu de la rage, et pourtant on en a eu raison. Le charbon ne se montre plus dans les troupeaux, l’infection purulente a été chassée des salles de blessés, les opérés guérissent comme par miracle, et la chirurgie, confiante jusqu’à la témérité, a empiété sur le domaine de la médecine, même dans le traitement de la phtisie. La mortalité des femmes en couches est aujourd’hui presque nulle, et celle des personnes mordues par les chiens enragés et traitées à l’institut Pasteur est tombée au-dessous de 1 pour 100.

De pareils succès rendent toutes les espérances légitimes. On trouvera peut-être quelque jour le moyen d’atteindre et de détruire les bacilles de la tuberculose au sein de l’organisme. En attendant, bornons-nous à faire nos efforts pour les empêcher d’y pénétrer, en prenant les précautions qu’indique l’hygiène, sans tomber dans des exagérations qu’elle ne saurait approuver.


JULES ROCHARD.