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caractéristiques, chez des sujets qui ne les avaient pas présentés jusque-là.

Ce fut une première désillusion. Il n’y avait plus à songer à la guérison de la phtisie ; il fallait se rabattre sur son diagnostic et sur le traitement du lupus ; mais on reconnut bientôt que ce terrain-là n’était pas plus solide que l’autre, puis survinrent les insuccès. Les cas de mort brusque, incontestablement causés par le remède, se multiplièrent au point de rendre les expérimentateurs de plus en plus circonspects. Les médecins français, qui étaient allés à Berlin pour y étudier la question, en revinrent tout à fait désenchantés et refroidirent considérablement l’enthousiasme. Les déclarations de Virchow vinrent alors lui porter le dernier coup. Le célèbre physiologiste allemand apporta à la société de Berlin des faits écrasans pour la nouvelle méthode, avec les pièces anatomiques à l’appui. Il montra que, loin de détruire les lésions tuberculeuses, les injections de Koch en faisaient naître de nouvelles et amenaient la dispersion des bacilles dans l’organisme tout entier.

Cette révélation eut lieu le 12 janvier 1891. Faite à Berlin même par un savant dont l’Allemagne est fière, elle eut un retentissement considérable. Trois jours après, le docteur Koch y répondit par une note dans laquelle il reproduisait ses affirmations, en faisant connaître enfin la nature de son remède. Cette divulgation, trop tardive pour réhabiliter le savant, fut fatale à sa doctrine. Tant qu’il avait gardé le secret, l’imagination se plaisait à prêter à cette lymphe mystérieuse les origines les plus fantastiques. C’était un arcane pour la composition duquel la science moderne avait épuisé toutes ses ressources. Lorsqu’on apprit qu’il ne s’agissait que d’un simple extrait glycérine de culture de bacilles, tout ce prestige disparut. Au lieu d’avoir découvert une voie nouvelle, le savant de Berlin s’était borné, comme MM. Grancher et H. Martin, à suivre la méthode créée par M. Pasteur et maintes fois appliquée par lui.

Le secret une fois divulgué, le ministre s’empressa de déclarer qu’il renonçait au monopole. Du reste, le commerce, qui avait été si fructueux au début, ne rapportait plus de bénéfices. L’exportation des petits flacons de lymphe avait cessé sous l’influence de la réaction qui se produisait partout. Partout, les médecins, qui s’étaient au début signalés par leur enthousiasme, venaient confesser leur erreur et cessaient leurs expériences. Quelques gouvernemens autoritaires défendirent même l’emploi du remède dans les hôpitaux.

Ainsi qu’il arrive toujours en pareil cas, la réaction a été proportionnelle à l’engouement qui l’avait précédée ; elle a, comme lui, dépassé le but. L’opinion publique s’est vengée de la désillusion