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devant les progrès de la civilisation. Elle a fait disparaître les fléaux du moyen âge dont le nom seul suffisait pour terrifier les populations. Ceux qui nous restent vont en s’atténuant et la tuberculose aurait fait comme eux si la misère et les mauvaises conditions hygiéniques en avaient été les principales causes. C’est le contraire que nous constatons. Elle va s’aggravant partout, comme le prouvent les statistiques, elle élargit son domaine avec l’extension des relations internationales.

Les Européens la transportent avec eux dans toutes leurs migrations. C’est ainsi qu’elle a pénétré dans l’Amérique du Nord, qu’elle s’est implantée à la Terre de Feu et dans l’Océanie.

La phtisie était inconnue à la Terre de Feu avant l’arrivée des Anglais. Fitz-Roy et Darwin, qui ont fait de la population de ces pays une étude si complète, n’auraient pas manqué de la signaler, si elle avait existé à cette époque. Elle est apparue depuis la fondation de la mission anglaise d’Ouchonaya, et règne en tout temps dans cet établissement. En 1882, elle y a pris les proportions d’une épidémie et enlevé 14 enfans de l’Orphelinat sur 25 qui s’y trouvaient. C’est bien la pthisie tuberculeuse qui règne sous ces latitudes, car le professeur Cornil a constaté l’existence du bacille caractéristique, sur un fragment de poumon provenant d’une jeune fille du pays morte de tuberculose et rapporté par le docteur Hyades, membre de la mission du cap Horn.

La maladie ne s’observe que chez les Fuégiens qui vivent à l’européenne, chaudement vêtus et dans des cabanes bien closes. Ceux qui ont conservé leurs habitudes, qui passent les jours et les nuits en plein air, ou sous des huttes qui ne ferment pas, qui sont à peine vêtus et parcourent les plages en cherchant leur nourriture, ceux-là ne connaissent pas la tuberculose et, lorsqu’ils en ont contracté le germe en changeant d’existence, ils recouvrent la santé en revenant à leurs mœurs primitives.

La phtisie dépeuple les archipels polynésiens, depuis que les navires de Cook et de Bougainville y ont abordé. Elle décime les populations indigènes de la Nouvelle-Calédonie, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Nos possessions ont subi le sort commun. Taïti, la reine du Pacifique, comptait 80,000 habitans en 1768, lorsque Bougainville y arriva, elle n’en a plus que 9,194. Les Marquises en avaient 20,000 à la même époque, il ne leur en reste plus que 5,776 aujourd’hui. Pendant longtemps, on a mis cette dépopulation sur le compte de la syphilis, de l’alcool, du changement de vie, des vices transmis par les Européens ; mais aujourd’hui, on sait, à n’en pas douter, qu’elle est l’œuvre de la tuberculose pulmonaire.

Sous ce climat enchanteur de l’Océan-Pacifique, dans ces îles