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en fait est-il le plus profitable pour le développement de la richesse du pays ? »

À la première question, le rapport répond nettement par la négative : « D’après les précédens de 1848 et de 1870, il est évident que l’État se trouve dans l’impossibilité absolue de rembourser à vue les capitaux des caisses d’épargne. » Là est le grand danger de la situation, et il est inexplicable que le parlement n’en soit pas frappé au point de chercher à y parer, toute affaire cessante. « Il y a là, dit encore le rapport, une question grave, terrible, qui ne s’est jamais présentée avec une pareille importance dans nos grandes secousses antérieures et qui mérite les plus profondes réflexions. »

On peut mesurer la grandeur du péril en songeant que l’Etat, qui devait aux caisses d’épargne 354 millions en 1848 et 633 millions en 1870, leur en doit aujourd’hui 3 milliards 373 millions, et que, si rien n’est modifié dans la législation qui régit les caisses d’épargne et la Caisse des dépôts et consignations, on peut prévoir que, dans dix ou quinze années, cette dernière caisse aura à gérer, en sommes appartenant au public déposant et remboursables à vue, le total formidable de 6 à 8 milliards.

Ce sont les achats de la Caisse des Dépôts et Consignations, bien plus que le développement de la richesse publique ou la perspective d’une longue paix, qui ont porté la rente 3 pour 100 à 95 francs et modifié, par ce seul fait, le taux de capitalisation de toutes les valeurs. Or ce résultat a été obtenu par une déviation complète des règles qui devraient régir le marché financier, c’est-à-dire par la suppression de la loi de l’offre et de la demande. D’après les termes mêmes du rapport, l’intervention, sur le marché de notre rente nationale, de cet acheteur perpétuel qui s’appelle la Caisse des Dépôts et Consignations, a exercé une influence heureuse sur le crédit public et a contribué à l’amener au point qu’il occupe aujourd’hui, c’est-à-dire le plus haut qu’il ait jamais atteint. On est, d’un autre côté, en droit de se demander quelle influence exercerait sur le crédit l’intervention de ce même mécanisme, transformé en vendeur perpétuel, le jour où une crise provoquerait de la part des déposans des retraits assez importans pour faire pencher la balance dans le sens des remboursemens, devenus plus considérables que les dépôts nouveaux.

Il semble que, dans ces derniers temps, le sentiment du péril que recèle la situation actuelle ait commencé à pénétrer dans l’opinion publique. D’une manière générale, on estime que toutes les valeurs sont arrivées à des prix qu’elles ne peuvent plus que difficilement dépasser, et que, pour un grand nombre de titres, ces prix sont dès maintenant excessifs, quoi que l’on puisse arguer de l’abondance incontestable des capitaux disponibles et de la diffusion de la richesse.

Depuis le milieu du mois, malgré l’abaissement du taux de