Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des conservateurs et des catholiques. Il a réussi d’abord et même assez longtemps, puisqu’il est depuis douze ans aux affaires et qu’il a eu à traverser plus d’une crise. Il a fini cependant par épuiser ses combinaisons et ses tactiques, par se sentir exposé à n’avoir plus même une apparence de majorité dans son Reichsrath. Le compromis qu’il avait essayé de négocier l’an dernier entre Tchèques et Allemands, sur lequel il comptait pour prolonger son règne, venait de rencontrer en Bohême une invincible résistance. Lorsqu’il y a quelques mois, pour raffermir son pouvoir, il a voulu tenter la fortune du scrutin et renouveler son parlement par des élections décidées presque à l’improviste, il s’est bientôt aperçu que ces élections trompaient ses calculs, que la situation allait rester la même. Il n’y avait qu’une différence : c’est que les partis extrêmes revenaient plus forts dans le nouveau Reichsrath. Le chef du cabinet avait perdu les vieux Tchèques qui étaient ses alliés les plus sûrs et qui venaient d’être vaincus en Bohême par les jeunes Tchèques, plus impatiens dans leurs revendications nationales. Les élémens d’une majorité, comme il la voulait, manquaient de plus en plus au comte Taaffe dans le nouveau parlement. Qu’allait-il faire ? C’est ici que cet homme d’esprit a montré une fois de plus sa souplesse dans l’art des évolutions, et l’idée assez singulière qu’il se fait du régime parlementaire. C’est l’intérêt de cette session du Reichsrath, qui n’est pas encore achevée à Vienne, et qui compte déjà de curieux incidens.

Au premier moment, il y a bien eu quelques embarras : on craignait la confusion et la véhémence des discours à l’occasion des débats de l’adresse, et comme on voulait en finir au plus vite, on a tout simplement par un tour subtil supprimé la discussion ; on y a suppléé par les hommages très respectueux du Reichsrath que le président, le vieux M. Smolka, est allé porter en guise d’adresse à l’empereur. Le tour a été lestement joué ; mais ce n’était pas une solution ; les explications n’étaient qu’ajournées, et en attendant, la question essentielle, délicate, restait entière : comment le président du conseil allait-il se tirer d’affaire et se donner au moins une apparence de correction parlementaire ? Oh ! ce n’était pas difficile. Le comte Taaffe s’est éclairé depuis les élections ; il a tout examiné, il a négocié avec le comte Hohenwart, avec le comte Coronini, avec tous les chefs de partis ; il a vu qu’avec ses anciens alliés il ne pourrait pas arriver à avoir une majorité, et en opportuniste expert il a eu bientôt pris son parti. Dans les dernières sessions, il marchait avec les conservateurs, les nationalistes, les cléricaux, parce que tel était son intérêt ; aujourd’hui, par une volte-face soudaine, il va au-devant des chefs, du centralisme allemand, de M. de Chlumecki, de M. de Plener, à qui les Polonais viennent se joindre pour former une majorité nouvelle. Le chef du cabinet impérial avait déjà donné un premier gage aux Allemands en éloignant des