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épouse le ciel. Dans un de ses opéras, un autre compositeur nous a révélé tout ce que le vent peut avoir à dire aux forêts : nous reconnaissons sa voix, son murmure, ses soupirs, ses sifflemens, ses gémissans refrains, et nous croyons l’entendre parler.

La musique imite le langage naturel de la passion et l’effet que produisent sur nos sens et notre âme les bruits confus de la nature. Il y a dans cet art comme dans l’architecture une vérité d’imitation à laquelle on reconnaît les grands artistes. C’est un édifice manqué que celui qui ne ressemble à rien ou qui ressemble à tout ; un opéra ou une symphonie qui ne nous rappellent rien n’ont aucun intérêt pour nous. Mozart nous rappelle toujours quelque chose parce que Mozart est toujours vrai. Il y a des musiciens à qui nous sommes tentés de dire : « Ce n’est pas cela, tu es dans le faux, tu mens et tu ne sais pas même déguiser tes mensonges. »


IV

Si dans les arts symboliques, l’imitation, comme nous l’admettons sans peine, n’est jamais qu’un à-peu-près, il ne tient qu’à nous de nous convaincre qu’il en va de même dans les arts imitatifs. Sans parler ici de la sculpture, qui, en rendant les formes, fait abstraction de la couleur comme d’une qualité négligeable, il y a impossibilité physique qu’un peintre possédant à fond son métier, qu’un paysagiste dont la main est aussi subtile que son regard est juste et précis, nous fasse voir une scène de la nature telle qu’il la voit ou que nous l’avons vue nous-mêmes, qu’il atteigne à ce degré de ressemblance qui fait illusion, et s’il a une âme d’artiste, il n’aura garde de maudire sa bienheureuse impuissance et l’obligation où elle le met de remplacer par autre chose ce qui manque à l’exactitude de ses reproductions.

Un corps ayant trois dimensions projette dans mes deux yeux deux images un peu différentes ; mon œil gauche voit une partie un peu plus grande de la face gauche de ce corps, mon œil droit une plus grande partie de la face droite. Grâce à cette différence des deux images, la vision binoculaire me sert à juger des distances relatives des objets et de leur étendue en profondeur. Un tableau peint sur une surface plane montre à mon œil droit ce qu’il montre à mon œil gauche, et il s’ensuit que, quelle que soit l’exactitude du rendu, l’apparence d’un objet se modifie selon que je le vois dans la nature ou sur une toile. C’est ce qui a donné lieu à l’invention du stéréoscope. En nous offrant deux images prises sous un angle