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et combien, d’autre part, il est monotone ? Cette façon de mettre exclusivement en lumière un morceau de la figure humaine aux dépens de tous les autres, c’est celle que M. Ribot, à la brosse rude et mâle, a été prendre chez le brutal Ribera. M. Carrière, d’un tempérament plus délicat et plus féminin, n’a eu que la peine d’aller le chercher chez des voisins plus fins et plus nobles, chez Baroccio et autres maniéristes, qui le tenaient eux-mêmes de Corrège, lequel le tenait de Léonard de Vinci. M. Carrière était dans son droit en pratiquant, pour son compte, ce procédé, même amolli, appauvri, affadi, et en l’appliquant à la vie moderne. Il a réussi, c’est certain, sinon dans l’ensemble de ses grands portraits, pour lesquels cette manière alanguie et terne est vraiment insuffisante, mais du moins dans les parties capitales de ces portraits et surtout dans ses études spéciales de têtes de femmes et d’enfans. Son mérite particulier s’accentue même par la comparaison de ses œuvres avec celles de ses imitateurs qui reproduisent aisément sa formule monotone sans y apporter sa délicatesse poétique. Mais, vraiment, y a-t-il là de quoi crier miracle, et pense-t-on qu’il puisse rien sortir d’une si étroite façon de comprendre la forme et la couleur ? Qu’on admire donc M. Carrière dans une certaine mesure, soit, mais qu’il reste seul avec sa formule, comme M. Ribot, comme tous les dilettanti, si grands qu’ils soient ! Et n’est-il pas pénible de voir disparaître déjà, dans la vapeur qui le suit, de jeunes artistes qui nous avaient promis d’être plus personnels, tels que MM. Armand Berton, Tournés et Callot ?

Nous ne voyons pas non plus ce qu’ont pu gagner, jusqu’à présent, à se départir de leur première façon, régulière et consciencieuse, de chercher l’effet par une étude serrée des êtres et des choses, des artistes tels que MM. Perrandeau, La Touche, Goeneutte, Prouvé et bien d’autres, dont les débuts avaient donné tant de promesses. Il est possible qu’ils sortent, de cette crise, plus libres dans leur faire et plus clairs dans leurs harmonies, c’est sans doute ce qu’ils rêvent et c’est là leur excuse. Pourvu qu’ils ne sacrifient pas la proie pour l’ombre ! En attendant, nous ne trouvons plus dans la pâleur fondante des Saintes filles de M. Perrandeau, ni les accens résolus de physionomies, ni les maniemens habiles du clair-obscur qui retenaient les yeux sur ses scènes de deuil, d’une tonalité sombre et triste, mais grave et convaincue. M. La Touche, troublé par M. Besnard, modifie, chaque année, ses façons de voir et de dire avec une instabilité qui ressemble à une déroute. Ses études d’intérieurs, la Nursery, l’Enfant au chat, ses études de paysages, Saint-Cloud, les Coteaux de Suresnes, trop improvisées, comme presque tout ce qui est au Champ de Mars, ne