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passer de droite à gauche, en s’efforçant de hurler ou de paraître hurler avec les loups.

Parmi les hommes du vieux jeu, beaucoup plus nombreux qu’on ne croirait d’abord, ce sont deux praticiens excellens, M. Ribot et M. Stevens, qui tiennent toujours la tête. Leur manière est depuis longtemps connue. Celle de M. Ribot surtout, toute en contrastes voulus et cherchant tous ses effets dans le maniement hardi des belles pâtes lumineuses au milieu d’une opacité savamment calculée, ne prétend point à se modifier. On voit bien passer chez lui, par instans, quelques lueurs de Velasquez, de Millet, de Chardin ; mais, en général, c’est à Ribera et Caravage qu’il s’en tient comme inspirateurs. Il nous fournit encore, cette année, dix preuves nouvelles ou renouvelées d’une virtuosité qui se plaît surtout à illuminer des reflets de l’art les personnages et les choses les plus vulgaires, des Tireuses de cartes, des Cuisiniers, des Récureurs, des OEufs sur le plat. L’exposition de M. Alfred Stevens, qui comprend quatorze pièces (sans compter ses esquisses du Panorama du siècle, aux Tuileries, en collaboration avec M. Gervex), est d’un aspect bien plus varié. M. Stevens expose à la fois des scènes mondaines, des figures littéraires, des portraits, des paysages. C’est, du reste, le cas d’un grand nombre d’exposans, surtout des débutans qui se targuent d’être dans le mouvement ; ils profitent de la liberté excessive qui leur est laissée pour déballer tout leur magasin et montrer, suivant le cas, soit la variété de leurs aptitudes, soit la multiplicité de leurs présomptions. En général, cette instabilité de l’application témoigne d’une grande incertitude d’esprit et d’une grande indifférence de main ; toutes ces petites habiletés réunies ne parviennent pas à constituer du génie. Ce n’est pas le cas, bien entendu, de M. Alfred Stevens, dont le talent, si personnel et si souple, est depuis longtemps éprouvé, et qui, d’ailleurs, a fondé, avec juste raison, sa renommée sur un ordre spécial de créations, les plaisirs, les vanités, les douleurs de la femme à la mode, ne faisant des autres qu’une distraction ou un passe-temps. Ce sont encore des peintures de cette catégorie, la Lettre, Pensive, le Papillon, la Dame jaune, qui le représentent le mieux au Champ de Mars. Quelques-unes, il est vrai, non-seulement par la présence d’ajustemens démodés, mais surtout par une manière plus serrée de conduire le dessin et le modelé, ne semblent point être des œuvres récentes. L’épreuve qu’elles subissent avec succès prouve que cette manière était bonne, car ces peintures d’avant-hier sont plus jeunes, plus vivantes, plus durables que les trois quarts des ébauches d’hier, vieilles avant l’âge, sans dessous et sans consistance, qui les assiègent de leurs brumes plâtreuses. C’est que M. Stevens, l’un des rénovateurs de la peinture, dans le sens moderne, n’a