peintures blanchâtres, la plupart à l’état d’ébauches, dont elles sont garnies, est une impression de surprise et d’inquiétude. On est surpris de l’imprudence et de l’inconscience avec lesquelles les peintres, encouragés par l’incroyable légèreté des amateurs et de la critique, sacrifient de gaîté de cœur leurs moyens mêmes d’existence. On est inquiet pour l’avenir de l’art français, renonçant lui-même à ces habitudes studieuses et désintéressées par lesquelles il était devenu l’exemple et le guide de tous les arts étrangers.
Est-ce à dire que le Champ de Mars ne renferme pas beaucoup de peintures remarquables, qu’il ne contienne pas même, si l’on veut, quelques chefs-d’œuvre ? Non, sans doute. Sans partager cet engouement factice dont beaucoup sont dupes pour un certain nombre d’originalités plus ou moins discutables qu’on y encense, il faut reconnaître que l’amour de la vie et de la nature, cet agent essentiel de la création pittoresque, s’y manifeste, en général, avec de grandes apparences de sincérité ; que, d’autre part, on y manifeste une préférence très légitime pour l’expression juste, libre, large, communicative de la pensée ou de la sensation, et qu’en somme il s’y développe un ferment d’activité utile et estimable, dont il faut tenir compte. Mais plus les idées qui, au fond, dirigent et justifient le mouvement, sont justes et sensées, plus il serait fâcheux qu’elles fussent condamnées à avorter par suite de la confusion qu’on fait de ces idées mêmes avec les moyens de les exprimer. Ce n’est pas la première fois que, dans notre pays, surtout en fait d’art, on se repaît de mots au lieu d’étreindre les choses et que la théorie sentimentale ou littéraire se substitue, chez les artistes, a l’intelligence et à la pratique du métier plastique et pittoresque sans lequel ils n’existent pas. Greuze, en son temps, fut plus populaire que Chardin ; Horace Vernet, Delaroche, Ary Scheffer, furent et sont peut-être encore mieux compris que Géricault, Ingres et Delacroix. Quelle différence, entre eux, cependant, comme résultats définitifs ! Depuis quelque temps, il semble que nous soyons de nouveau en proie à ces erreurs sans cesse renaissantes sur les qualités essentielles et intrinsèques de l’œuvre d’art. Dans les succès exagérés qui sont faits tardivement à de grands artistes d’abord injustement méconnus, tels que Corot et Millet, l’amplification littéraire et l’interprétation sentimentale n’entrent-elles pas, par exemple, pour une bonne part ? Si l’on examinait d’un œil sérieux un grand nombre de leurs ouvrages, au point de vue de l’originalité et de la réalisation, ne pourrait-on pas penser qu’on les met beaucoup trop haut, après les avoir mis beaucoup trop bas ? De même, ne suffit-il pas aujourd’hui qu’un peintre, se targuant d’indépendance, affiche le mépris des anciennes façons de peindre ou surprenne les regards par quelque procédé bizarre ou