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l’habitude, comme le remarque le principal promoteur de ce projet, M. Billette, de demander des garanties matérielles, un gage, comme le fait un capitaliste pour faire un prêt d’argent ; il se contente de la solvabilité de son client qui résulte de sa bonne renommée et de l’ensemble de sa situation. Mais ce même fournisseur veut avoir lui-même la possibilité de faire escompter sa créance, s’il a besoin de ses fonds avant l’échéance. Cela se réduit donc à une sorte de déplacement des personnes demandant l’escompte des billets. Dans les autres systèmes, l’agriculteur le demande directement à une banque ; dans celui-ci, c’est le fournisseur pourvu du billet que le dernier a souscrit, qui doit se mettre en rapport avec un établissement de crédit. Par là tombe l’objection relative à la difficulté qu’aurait un agriculteur d’obtenir les trois signatures qui sont nécessaires pour qu’un billet à ordre puisse entrer régulièrement dans la circulation commerciale, c’est-à-dire « banquable, » comme on dit en langage technique. On ne voit pas en effet non plus que les fournisseurs exigent trois signatures pour accorder un crédit, c’est à eux encore qu’il appartiendrait de trouver les deux signatures solidaires de la première. Les défenseurs du même projet vont plus loin : ils demandent la création d’une banque nationale de l’agriculture qui consentirait à escompter le papier agricole ayant six ou huit mois à courir ; il lui serait adjoint une banque agricole départementale et des caisses agricoles de cantons. Il n’est pas besoin de remarquer qu’une telle organisation n’a rien de commun avec le système des grandes banques centrales qui prétendent distribuer le crédit d’en haut ; ce serait la simple substitution d’un autre mécanisme à la Banque de France pour ce genre spécial d’opérations. Nous nous abstiendrons de discuter cette partie du projet ; il suffit que nous ayons exposé les raisons qui militent en faveur des idées principales sur lesquelles il s’appuie.

Mais pourquoi prétendrait-il à être à lui seul tout le crédit agricole ? Pourquoi l’emprunt en serait-il exclu systématiquement ? Il n’y a en conséquence nul moyen de se soustraire à l’examen de ce qui concerne le gage sans lequel il n’est pas possible à un crédit complet de se constituer. Mais ici, en vérité, notre embarras est grand. Si l’on soutient que l’article 2076 du Code civil n’est plus en rapport avec le caractère industriel et commercial de l’agriculture, on risque fort de se brouiller avec les légistes, ou tout au moins avec ceux d’entre eux qui regardent comme des profanateurs ceux qui osent toucher au code civil, et ces profanateurs, nous le craignons, ont été plus d’une fois les économistes. Faut-il rappeler combien il a fallu livrer de batailles pour obtenir la révision