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qui permet plus qu’on ne le dit d’espacer les échéances. Le blé, la betterave, la vigne, les fourrages, les légumes, les cultures industrielles, la vente de la laine, celle du bétail, ne sont pas toujours l’objet d’opérations simultanées, et la récolte des céréales ne se vend pas elle-même en une fois. Cette succession donne aux échéances plus d’élasticité qu’on ne le suppose communément. Il y a, au reste, des exemples qui prouvent qu’il n’est pas impossible d’accorder à l’agriculture les longs crédits dont elle a besoin. Dans le système des banques Raïffeisen, établies dans la province du Rhin, l’argent prêté l’est à long terme et est remboursable à échéances successives. Ces banques prêtent à trois mois, à six mois, à un an, etc., et même par exception jusqu’à dix ans. Dans les longs prêts, le débiteur est tenu d’amortir la dette par annuités. Cette durée étendue des prêts est même un des principes de ces associations, qui agissent d’ailleurs dans un cercle étroit et doivent rigoureusement s’abstenir de toute spéculation.

En terminant cette partie de notre examen, toute consacrée à la réfutation des objections de fond qui ont pour but d’éliminer le crédit agricole en le faisant regarder comme une illusion et un leurre, nous ne croyons pas inutile de faire observer que les considérations précédentes s’appliquent, à des titres et à des degrés divers, aux différentes formes que comporte ce genre de crédit. En définitive, ces formes se réduisent à deux, si l’on écarte l’organisation d’une banque d’État ou d’une caisse centrale ; ces deux formes, qui admettent elles-mêmes des variétés dont nous n’avons pas à tenir compte en ce moment, sont, d’une part, ce qu’on peut appeler le crédit « individuel, » soit qu’on s’adresse à un seul prêteur, soit qu’on ait recours à des banques locales affectées spécialement à ce service de prêt ou à des caisses de dépôt qui s’en chargent accessoirement, et, d’autre part, le crédit « mutuel, » qui, comme le nom l’indique, repose sur la garantie réciproque des associés et sur leur responsabilité solidaire, illimitée ou limitée, selon les cas. Telles sont, entre toutes, les fameuses banques populaires allemandes Schultze-Delitzsch, dont les bases essentielles sont, à travers certaines différences d’organisation, communes aux banques de crédit mutuel existant dans d’autres états. Les banques constituées sur ce type reçoivent en compte courant les fonds de leurs adhérens, cultivateurs, artisans, ouvriers, et les utilisent dans le rayon où leur action se déploie. Voilà, — et il n’était pas hors de propos de le rappeler, — le caractère vraiment constitutif des banques agricoles populaires. On comprend que la conséquence d’une telle organisation est d’engager les membres solidairement unis à s’imposer un choix sévère dans le recrutement des associés. Cette sélection, faite par les intéressés eux-mêmes, est une première garantie