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yeux est incalculable. La chimie transforme, à la lettre, la terre en un laboratoire, et la terre-usine a pour conséquence inévitable l’agriculture-industrie. A mesure qu’elle adopte les procédés industriels, c’est-à-dire l’emploi du capital sur une grande échelle et la division du travail, elle est entraînée, par une pente fatale, à adopter aussi les procédés du commerce. On alléguerait en vain que ces nouveautés s’appliquent seulement à la grande culture intensive, il s’en faut de beaucoup qu’elles ne s’appliquent qu’à elle seule. La culture maraîchère, par exemple, qui est faite par de petits cultivateurs, achète une masse énorme d’engrais et fait une quantité considérable d’achats et de ventes. Il faut en dire autant de l’horticulture, devenue une branche si riche de l’industrie agricole. Il en est de même des autres petits cultivateurs, ou au moins d’un très grand nombre d’entre eux, qui ont besoin d’avances pour acheter des instrumens, du bétail et ces mêmes engrais chimiques dont l’action est si rapide et si énergique. Chaque année en voit augmenter la consommation, depuis qu’on les débite par fractions, et que la surveillance des syndicats en assure la bonne qualité contre les manœuvres frauduleuses qui avaient tant contribué à les empêcher de se répandre. Il n’est pas jusqu’aux moyens préservatifs et curatifs des maladies de certaines plantes, comme la vigne, qu’ils ne se soient mis à employer abondamment. Toutes ces opérations rapprochent l’agriculteur de l’industriel et du commerçant. Qu’elles ne suffisent pas à le confondre absolument avec eux au point de vue du crédit, nous n’y contredisons pas : mais les différences se sont fort amoindries. Il y a des « affaires agricoles, » il y en a une masse équivalant à une quantité de millions sans proportion avec le passé, voilà ce qu’on ne peut mettre en doute, et, ce qui n’est pas moins certain, c’est la pensée de chercher dans l’agriculture des profits au sens industriel du mot. On est même allé jusqu’à définir l’économie rurale : l’art de gagner de l’argent par la culture du sol, et il n’y a pas lieu de s’en scandaliser. C’est la proclamation d’un fait qui n’ôte rien à l’agriculture de ses avantages moraux et à la vie rurale des charmes qu’elle peut avoir pour elle-même. Mais s’il y a toujours eu quelque niaiserie à la considérer comme une simple idylle, ou si c’était trop la rabaisser que de n’y voir qu’une occupation bonne à laissera de pauvres paysans, la même erreur serait aujourd’hui le plus impardonnable des anachronismes. L’agriculture étant une affaire, c’est un non-sens de refuser systématiquement à celui qui travaille la terre à l’aide de ses capitaux les facultés légales de crédit qu’on accorde à un fabricant. Toutes réserves faites en faveur de quelques ménagemens dans l’application, en principe on ne peut qu’approuver ce que dit