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hors des atteintes de l’ennemi. Celui-ci exécuta sur elle une grande charge de cavalerie, qui fut critiquée par nos généraux, mais qui, je pense, avait pour but précisément de distraire cette division et de l’empêcher de profiter de ce moment critique pour entrer en action. Les Anglais l’avaient craint, à juste titre, et ils obtinrent, par cette diversion, le temps de réparer les désordres de leur ligne de bataille. Ils le payèrent assez cher. Cette cavalerie, repoussée par l’infanterie de la 3e division, fut à ce moment prise en flanc et en queue par toute la cavalerie française. Elle fut fort maltraitée. Le 23e régiment de dragons anglais fut pris presque tout entier.

Après cette charge, et pendant que nous étions encore aux prises avec le centre de l’ennemi, toute notre cavalerie vint nous remplacer sur le terrain que nous avions occupé au début de l’action. Elle était en colonnes par escadrons, la tête des chevaux sur le bord de ce ravin, que nous avions franchi, à pied, avec beaucoup de difficultés. Condamnée à l’immobilité, cette cavalerie souffrit beaucoup du feu de l’artillerie anglaise, sans avoir à mettre le sabre à la main. Autre faute ! jamais cette arme ne fut plus mal employée. Si l’on avait voulu s’en servir, sa place était dans le vallon où se trouvait déjà la cavalerie anglaise ; si on ne le voulait pas, pourquoi la maintenir longtemps, sous un feu meurtrier, au bord d’un ravin qu’elle ne pouvait franchir, et où elle était absolument inutile.

La plus grande partie des corps de l’armée française, qui avaient chargé les Anglais, avaient été repoussés, mais l’armée avait conservé toutes les positions qu’elle occupait au commencement de la bataille. Les Anglais avaient fait des pertes énormes et ils avaient engagé toutes leurs troupes, tandis que, de notre côté, la cavalerie et la 3e division du 1er corps, la cavalerie et une brigade d’infanterie du 4e corps, la division Dessoles et la garde du roi Joseph n’avaient pas été au feu. On était donc en droit d’espérer qu’une attaque générale, poussée à fond, culbuterait définitivement les Anglais. Ne pas la tenter était perdre tous les fruits des efforts déjà faits. Le maréchal Victor, qui avait été peut-être trop entreprenant d’abord, proposait au roi de recommencer la lutte le lendemain. Il insista beaucoup, pendant toute la soirée ; mais le roi, sous l’influence du maréchal Jourdan, décida la retraite.

La veille de la bataille de Talavera, mon bataillon comptait encore 25 officiers et 480 hommes de troupe. Je perdis, à cette affaire, 14 officiers et 192 sous-officiers ou soldats (tués ou blessés). Moi-même j’avais reçu, à la fin du combat, une balle à la cheville du pied gauche. Ma botte, qui était extrêmement forte, et qui faisait à cet endroit des plis très épais, avait atténué le coup, qui m’aurait certainement brisé les os en faisant plaie, mais j’avais reçu une telle contusion que je ne pouvais demeurer à cheval. Je