Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avions eu plusieurs hommes tués ou blessés étant couchés et endormis.

Peu après, la lune se leva derrière nous. Nous découvrions parfaitement l’armée anglaise, tandis qu’elle ne nous voyait pas, c’était une circonstance très favorable pour recommencer l’attaque du mamelon et l’occuper définitivement. Personne n’y songea au quartier-général du roi Joseph, qui était fort en arrière, à notre ancien camp de Cazalegas. Cependant, depuis l’arrivée du 4e corps, de la garde et de la réserve, nous devions être au moins 45,000 hommes. La nuit s’acheva sans autres incidens.


Bataille de Talavera.

Talavera est l’une des batailles les plus célèbres qui aient été livrées en Espagne. Différée de quelques jours, elle pouvait avoir des résultats immenses. Livrée, comme elle le fut, le 28 juillet, elle devait être une victoire. Elle n’a été, par la faute de ceux qui l’ont conduite, qu’une inutile effusion de sang. À cette époque, on admettait sans difficultés que les praticiens les plus renommés dans l’art de la guerre se trouvaient dans les armées françaises. Le temps, et surtout une longue suite de succès, devaient avoir donné à nos généraux une habitude du métier, un aplomb qui, aux yeux d’une foule admiratrice, les faisaient paraître infaillibles. On pouvait croire que Napoléon avait fait école. Mais les généraux de réputation eux-mêmes font des fautes ; souvent la victoire les efface… elles deviennent apparentes dès que le succès ne les couvre plus.

Élevé au milieu des combats, sans prétentions, mais ayant une longue expérience de la guerre, je me permettrai de noter les fautes commises à cette journée, afin de ne pas y tomber moi-même, si j’ai jamais à exercer un commandement important. J’ai été acteur dans cette bataille, je l’ai souvent étudiée depuis ; j’ai revu le terrain, je le connais. Je vais essayer de le décrire d’abord, ainsi que le dispositif des troupes.

A la droite de l’année combinée d’Angleterre et d’Espagne était le corps espagnol, commandé par de la Cuesta. Il s’appuyait au Tage et à la ville de Talavera. Le centre de ce corps couvrait la ville. Une redoute avait été construite sur la route de Tolède. En avant du centre des Espagnols, un bois avait été abattu, et les arbres, disposés en abatis serrés, couvraient leur ligne. Du centre à leur gauche, un aqueduc, qui suit la route de Talavera à la montagne, formait un long retranchement, dissimulé presque partout