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En arrivant à hauteur de notre ancien camp de Cazalegas, nous vîmes l’ennemi embusqué faire feu sur notre avant-garde. Nous étions encore à plus d’une lieue des positions de l’ennemi quand le maréchal Victor imagina de lancer toutes ses colonnes en ordonnant de faire battre la charge par tous les tambours. J’en fus indigné et trouvai un prétexte pour faire cesser bientôt, par mes tambours, ce bruit inutile.

Nous arrivâmes, toujours en masses, au bord de la rivière l’Alberche. Le 16e régiment d’infanterie légère, marchant en tête de la division, reçut, en entrant dans l’eau, le feu d’un corps d’infanterie anglaise, caché dans un bois que l’on n’avait pas fait reconnaître. Ce feu inattendu, qui porta principalement sur le 16e léger, n’arrêta pas ce brave régiment. Il franchit la rivière, joignit les Anglais à la baïonnette et leur tua beaucoup de monde. Ce premier engagement, ayant révélé au maréchal la présence et les positions des ennemis, détermina les mouvemens du 1er corps.

Après avoir passé l’Alberche à notre tour, nous suivîmes l’ennemi jusqu’à hauteur de Talavera, marchant en colonnes et en masses quel que fût le terrain. Notre artillerie canonna les Anglais jusqu’à la nuit close.

Les deux armées étaient très voisines l’une de l’autre, et nos généraux, qui n’étaient pas très habiles, avaient disposé leurs troupes de la façon la plus dangereuse en cas d’une attaque de nuit. L’artillerie était pêle-mêle avec les bataillons, toujours en masse.

Pendant la nuit, la 1re division attaqua un mamelon assez élevé auquel les Anglais appuyaient leur gauche. Elle l’enleva, mais cette division, n’étant pas soutenue à temps, ne put s’y maintenir ; elle fut obligée de rétrograder et de venir prendre position un peu en arrière. Il faisait chaud, les deux armées bivouaquaient sans feu, à portée de fusil l’une de l’autre. Vers minuit, j’envoyai une grand’garde, commandée par un officier, pour couvrir la tête du régiment. La lune n’était pas encore levée, et le général Lapisse affirmait que l’ennemi s’était retiré ; il soutenait même que c’était le quartier-général du roi qui occupait Talavera. Pendant que nous discourions ainsi, l’officier commandant la grand’garde avait détaché en avant un petit poste qui, ne voyant pas les Anglais, avait été, dans l’obscurité, placer sa sentinelle avancée au milieu d’eux. Bientôt des coups de fusil répondirent au premier Qui vive ? Nos postes ripostèrent. L’armée anglaise, qui se crut attaquée, fit feu de toutes parts. Les coups de canon se succédaient rapidement. Comme nous étions cachés dans l’ombre, il y eut plus de bruit que de mal. Ce tapage cessa au bout d’un moment ; cependant nous