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Le général Moore, tué à la Corogne, avait été remplacé dans le commandement des troupes anglaises, en Portugal, par sir Arthur Wellesley (depuis lord Wellington). Ce nouveau général avait organisé une armée anglo-portugaise, rallié les armées espagnoles, et remontait la vallée du Tage.


FRAGMENT DU JOURNAL DU COLONEL VIGO-ROUSSILLON.

Nous étions arrêtés, depuis plus d’un mois, à Almaraz, sur les bords du Tage, quand, dans la nuit du 20 juin 1809, le pont de bateaux, qui avait été plusieurs fois fait et défait, fut définitivement replié. Au jour, les troupes espagnoles de don Gregorio de la Cuesta, qui nous guettaient probablement, parurent sur la rive gauche et tiraillèrent avec notre arrière-garde, sans effet. Le 21 juin, nous devions passer le Tietar, mais il y eut contre-ordre. Nous marchâmes sur Oropeza en bivouaquant tous les jours.

Le corps d’armée mourait de faim. La farine ne manquait pas, mais bien le temps de faire du pain.

Dans ce pays, il n’existe de fours que dans les maisons principales. Les soldats venaient faire leur pain et le cuire dans ces maisons, souvent habitées par les officiers ; mais cela ne suffisait pas toujours, et comme les généraux ne permettaient pas ce travail et ce bruit dans les maisons qui leur avaient été réservées, cette interdiction provoquait chez des hommes affamés beaucoup de plaintes et de mécontentement.

Il faisait déjà très chaud et l’on marchait toute la journée. On ne peut comprendre que, sans nécessité, un général fasse marcher ses troupes en Espagne, à midi, par des chaleurs mortelles, alors que nous nous arrêtions pendant la nuit. Aussi, les chemins étaient semés des cadavres de nos malades et de nos blessés, que nous traînions à notre suite, entassés dans des charrettes, et que la chaleur, la faim et la soif tuaient bien plus souvent que leur maladie.

Et l’empereur s’étonnait de voir ses armées, formées, disait-il, des meilleurs soldats du monde, fondre si rapidement en Espagne !

Il fallut séjourner le 25 à Oropeza pour faire reposer les hommes. Le 26, nous bivouaquâmes en avant de Talavera de la Reyna.

Le 28 juin, nous traversâmes la ville, située sur le Tage, à une lieue environ au-dessous de son confluent avec l’Alberche. La ville est tout entière sur la rive droite du Tage.

Nous traversâmes ensuite la rivière l’Alberche et nous prîmes position dans l’angle formé par cette rivière et le fleuve. Le sol était couvert de taillis très épais, et nos soldats y construisirent des huttes de feuillage.