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avaient formé une armée anglaise de plus de 30,000 hommes, servant de réserve aux insurrections portugaise et espagnole ; qu’elle avait rallié les troupes battues et s’avançait avec elles en Espagne.

L’empereur espérait surprendre cette armée, la couper de la mer, et lui infliger un désastre.

Telle était la cause de ce départ subit et secret, qui, naturellement, s’appliquait encore à d’autres corps d’armée.

Le 22 décembre, nous passâmes auprès du fameux couvent de San-Lorenzo, appelé ordinairement l’Escurial, nous dirigeant vers la chaîne du Guadarrama. Les deux autres divisions du 1er corps étaient restées à Madrid.

Vers midi, nous arrivâmes au village de Guadarrama, il faisait un temps affreux. Ce qui tombait, sous forme de pluie dans la plaine, était de la neige dans la montagne. Un vent du nord, très violent, nous chassait cette neige au visage. Un véritable ouragan de neige s’était abattu sur cette montagne et rendait le passage très difficile, et même, disaient les guides, dangereux. La division et l’infanterie de la garde s’étaient arrêtées auprès du village de Guadarrama, qui est au pied de la montagne. L’empereur arriva avec la cavalerie de la garde. On lui rendit compte que l’avant-garde avait été contrainte par la tourmente de rétrograder. L’empereur, qui attachait un grand prix à couper les Anglais, s’écria aussitôt : « Quoi ! un peu de vent vous étonne ! que l’on me suive. » Mettant immédiatement pied à terre, il se mit à la tête de la colonne. Toute la cavalerie suivit à pied, dans une neige épaisse, l’empereur, qui s’appuyait sur le bras du général Savary. L’infanterie venait ensuite.

La montagne fut ainsi franchie avec une peine infinie. Nous bivouaquâmes auprès du couvent de San-Raphaële autour de mauvais feux, mouillés jusqu’aux os et harassés de fatigue. La cavalerie passa la nuit sur la neige sans débrider.

Nous marchâmes ensuite aussi rapidement que le permettait l’état des chemins, qui étaient détestables. Les mauvais chemins et les marches forcées avaient mis les deux tiers des hommes et toute l’artillerie fort en arrière. La saison n’était pas favorable pour cette vive poursuite. Il fallut s’arrêter, pour attendre les éclopés et les retardataires. Nous étions à la Secca, dont les habitans n’avaient pas pris la fuite, nous y fûmes assez bien traités.

Le 27, marchant sur Benavente, nous passâmes le Duero à Tordesillas. Le 31 décembre, à Castrogonzalès, notre avant-garde atteignit l’arriôre-garde des Anglais, que nous suivions depuis plusieurs jours et qui se dirigeaient vers la Corogne, dans l’espoir de s’y rembarquer. Cinq cents chasseurs à cheval de la garde