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pour que les habitans se rendissent à discrétion, sous peine d’être tous passés par les armes.

Le 5 décembre, toute la population de Madrid ayant affirmé sa soumission, l’armée pénétra dans la ville. Nous entrâmes par la porte de Foncaral.

On ne peut se faire une idée du désordre et de la confusion qui régnaient dans Madrid. Les principales rues étaient coupées par des barricades armées de canons ; les petites étaient fermées par des palissades. Toutes les rues étaient dépavées et les pierres avaient été montées sur les appuis des fenêtres, sur les balcons et sur les toits pour être précipitées sur nos têtes si nous avions enlevé la ville de vive force. Les couvens étaient fortifiés et ressemblaient à des citadelles. Ils regorgeaient d’armes et de munitions ; on rencontrait, dans tous, des ateliers de fabrication de cartouches, où le travail cessait à peine. Nous fûmes pendant deux jours bivouaques sur la place d’El Sol. Pendant ce temps, on procédait au désarmement général de la population. Mon bataillon fut ensuite caserne, en partie, dans le superbe couvent de l’Atocha. Toutes les armes trouvées chez les habitans étaient transportées au Retiro que l’on se hâtait de fortifier. Nous restâmes vingt jours à Madrid et je ne cessai pas d’habiter le Retiro.

Dans l’après-midi de l’un des premiers jours qui suivirent notre arrivée, j’étais dans ma chambre à écrire quand le sergent de garde à la police vint me dire que l’empereur venait d’arriver, à cheval, tout seul, qu’il était dans la cour et demandait le commandant du poste. Je descendis. L’empereur avait mis pied à terre. Il me dit, dès que je fus près de lui :

« Ah ! vous voilà ! Eh bien, tâchez de trouver des cordes et faites-moi faire des piquets. Ancien adjudant-major, vous devez savoir tracer un ouvrage de campagne. — Oui, sire. » Je fis descendre quelques hommes et l’on trouva ce qu’il fallait. Après quoi nous nous mîmes à tracer, sous la direction de l’empereur, les redoutes et les retranchemens qui devaient couvrir le Retiro du côté de la ville. Nous étions très avancés quand arrivèrent l’état-major et la suite ordinaire de l’empereur ; le travail, commencé et préparé, des retranchemens à élever leur fut remis pour en poursuivre l’exécution.

Le 21 décembre, la division partit de nuit, et fut bivouaquer, avec la garde impériale, près du village de Las-Rosas. On disait que l’empereur avait appris que les Anglais, qui, depuis la convention de Cintra, occupaient Lisbonne, avaient reçu des renforts importans ; que d’autres débarquemens avaient eu lieu à l’embouchure du Mondégo et à la Corogne ; que ces détachemens réunis