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plus tard, le sot orgueil du titre de duc ou de prince, du grade de maréchal de l’empire, les rendait tellement vains et jaloux les uns des autres, que la plupart sacrifiaient les intérêts de l’armée et de leur pays à leurs mesquines rivalités[1].

Nous attendîmes longtemps le 4e corps et, voyant qu’il ne paraissait pas, le duc de Bellune s’en montra consterné ; la moitié de son corps d’armée avait brûlé ses cartouches les jours précédens, et nous n’en avions pas une en réserve. Dans cette position fâcheuse, le maréchal Victor se décida à attaquer, seul, les Espagnols. Le mouvement commença par notre droite, qui attaqua la gauche de la ligne ennemie. Cette gauche était en l’air, et après

  1. Voilà, avec le désordre, la principale cause de nos revers en Espagne ! On comprend, si le mauvais vouloir et la jalousie des maréchaux se manifestaient quand l’empereur était lui-même en Espagne, ce qui devait se produire lorsqu’il était au loin, absorbé par les campagnes de 1809 ou de 1812, n’apprenant les événemens que fort longtemps après. Ce fâcheux début ne lui échappa pas, et il crut devoir le réprimer aussitôt, en faisant adresser aux deux maréchaux les lettres suivantes :
    « Vittoria, 6 novembre 1808, à midi.
    « Le major-général au maréchal duc de Dantsig.
    « L’empereur est très fâché du faux mouvement de retraite sur Bilbao. Sa Majesté ne s’attendait pas à cette faute capitale de la part d’un maréchal aussi zélé pour son service.
    « L’empereur ordonne que vous vous réunissiez à la division Vilatte, afin de pousser vivement l’ennemi… Si le 31, monsieur le maréchal, vous n’aviez pas attaqué et aviez laissé le temps de faire les dispositions nécessaires, la campagne d’Espagne serait aujourd’hui bien avancée… L’empereur peut avoir besoin de ses troupes, et quand elles sont engagées, on ne peut laisser une division isolée devant l’ennemi… »
    « Vittoria, 6 novembre 1808, minuit.
    « Le major-général à M. le maréchal duc de Bellune.
    « Sa Majesté a été très mécontente de ce que, au lieu d’avoir soutenu le général Vilatte, vous l’avez laissé seul aux prises avec l’ennemi, faute d’autant plus grave que vous saviez que le maréchal Lefebvre avait commis celle de laisser exposée une division de votre corps d’armée, en reployant ses deux autres divisions sur Bilbao. Vous saviez que cette division était exposée à Balmaseda. Comment, au lieu de vous porter en personne, à la tête de vos troupes, pour secourir une de vos divisions, avez-vous laissé cette opération importante à un général de brigade qui n’avait pas votre confiance ? .. Vous savez que le premier principe de la guerre est de se porter au secours d’un de ses corps attaqués, puisque de là peut dépendre son salut. La volonté de l’empereur est que vous marchiez à la tête de vos troupes, que vous teniez voire corps réuni et que vous manœuvriez pour vous mettre en communication avec le maréchal Lefebvre, qui doit être à Bilbao. »
    La division Vilatte s’était tirée d’affaire toute seule, par la valeur de ses troupes, ne perdant que 200 hommes et en tuant 800 aux Espagnols.