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conscrits, de 2 bataillons de la garde de Paris et de 4 bataillons suisses. C’est avec cette armée disparate et peu solide qu’il reçut la mission d’aller débloquer, dans Cadix, la flotte de l’amiral Rosily, et qu’il ne put y parvenir. On sait que l’empereur se montra plus que sévère pour le général Dupont, il fut injuste, puisqu’il a écrit lui-même « qu’il avait été plus malheureux que coupable ; » et cependant il connaissait si bien ses services passés, qu’en apprenant la capitulation de Baylen, Napoléon s’écria, dit-on : « Le malheureux ! après Hasslach, Albeck, Dirnstein, Halle, Friedland ! Voilà bien la guerre ! Un jour, un seul jour, suffit pour ternir toute une carrière ! » Mais comme c’était le premier des revers éclatans, comme on ne voulait pas avouer qu’on l’avait préparé par l’inexpérience des troupes de Dupont, il fallait frapper les esprits. Le souverain exagéra sa surprise et les éclats de son indignation ; le général Dupont lut arrêté, traduit devant une haute cour et condamné à la destitution de son grade, à la déchéance de tous ses titres et dignités, et à l’incarcération dans une prison d’état, où il était encore en 1814, époque à laquelle le roi Louis XVIII lui fit l’injure de le choisir pour ministre de la guerre de la réaction.

En reconnaissant qu’il ne pouvait suffire à ses projets, Napoléon devenait violent et cruel.

Depuis 1805, les classes de conscrits étaient appelées par anticipation, sous prétexte que les jeunes gens pouvaient attendre l’âge légal dans les dépôts, en s’instruisant. En revanche, on ne libérait personne, puisque la guerre n’était pas finie. Outre 650,000Français, l’armée d’alors comprenait encore 160,000 alliés, parmi lesquels même des Espagnols. Tout cela était administré avec la plus grande économie, en s’appliquant à payer les troupes sur le produit des contributions levées dans les pays conquis. Et, par suite de la dispersion de toutes ces forces, l’empereur n’avait pu envoyer de bonnes troupes en Portugal et en Espagne. La lettre suivante, adressée à son frère Joseph, alors roi de Naples, peint bien son embarras et explique les revers qui commencent.


« Fontainebleau, le 21 octobre 1807.

« Le grand besoin que j’ai d’établir le bon ordre dans mon état militaire, afin de ne pas porter le dérangement dans toutes mes affaires, exige que j’établisse sur un pied définitif mon armée de Naples et que je sache qu’elle est bien entretenue.

« Vous jugerez du soin qu’il faut que je prenne des détails, quand vous saurez que j’ai plus de 800,000 hommes sur pied.

« J’ai une armée encore sur la Passarge, près du Niémen ; j’en