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ont repris pleine confiance et pensent que le lendemain leur appartient encore.

Peut-être ont-ils tort d’accorder si peu de force et de durée au courant qui s’est prononcé contre eux aux élections dernières.

Déjà une première fois en 1874, et une seconde fois en 1882, le parti républicain avait subi sur le terrain électoral une éclatante défaite. Après un nouvel intervalle de huit années, pareille mésaventure lui est arrivée de nouveau ; mais la défaite, cette fois, a été un écrasement. Il est remarquable que, dans chacune de ces révolutions électorales, le revirement du suffrage universel s’est produit au milieu même d’un terme présidentiel. En 1874, Grant était président. Des faits extraordinaires de corruption venaient d’être révélés. Le gouvernement du célèbre général était tombé dans un profond discrédit. Le pays envoya, pour la première fois depuis 1856, une majorité démocratique à la chambre des représentans, et, deux ans plus tard, il élisait le candidat des démocrates, M. Tilden, à la présidence des États-Unis. Un véritable tour de passe-passe, exécuté par le parti républicain, installa M. Rutherford Hayes à la Maison-Blanche à la place de l’homme qui avait été réellement élu. La population américaine, en acceptant cette colossale supercherie, témoigna d’une force presque incroyable de patience et de commandement de soi-même. Les démocrates furent tenus, pour deux termes de plus, écartés du pouvoir. M. Hayes, en effet, fut un bon administrateur, un président honnête, sérieux et digne. Grâce à lui, le parti républicain, qui d’ailleurs ne lui en sut aucun gré, reprit faveur dans l’opinion, et son candidat, le général Garfield, fut élu en 1880.

Garfield périt assassiné quelque temps après. Son successeur, Chester Arthur, homme aimable, politicien d’une grande finesse, ne sut cependant pas guider le parti dominant ; le congrès n’eut point la sagesse de concéder à l’opinion publique, en temps opportun, la révision du tarif et la réforme administrative. Un nouvel ouragan électoral, en 1882, ouvrit le Capitole à une forte majorité démocratique, et, deux ans plus tard, M. Cleveland, candidat des démocrates, était porté à la présidence.

Il est d’autant plus vraisemblable que cette leçon de l’histoire se répétera en 1892 que les républicains, pour la première fois, sont réduits à une très faible minorité dans la chambre des représentans, et que les raisons du mécontentement qui a poussé la masse électorale à une si vigoureuse vengeance sont, sans aucun doute, plus profondes et plus durables que ne pouvaient l’être celles de 1882.


AUGUSTE MOIREAU.