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nécessaire d’en dire plus long ; de quelque côté que l’on se tourne, on voit s’avancer cet être dévorant et destructeur.


Peut-être ce langage imagé est-il bien celui qui convient au peuple de l’Ouest et du Sud, décidément ameuté contre le parti au pouvoir. Le grand maître de l’ordre des Chevaliers du Travail (General Master Workman), M. Powderly, n’a pas craint, dans un discours qu’il a prononcé dans la convention d’Ocala, devant les délégués de l’Alliance, de faire une violente sortie contre les inventions mécaniques qui ne servent qu’à réduire l’emploi de la main-d’œuvre, et surtout contre les appareils électriques, qu’il a qualifiés d’invention diabolique des capitalistes. Qui croirait que de semblables propos puissent exciter l’enthousiasme populaire dans la patrie d’Edison ?

L’état-major de l’ordre des Chevaliers du Travail assistait, en effet, à la convention d’Ocala et prit part à ses travaux. M. Powderly déclara solennellement que sa Société était en parfaite conformité de vues avec les tendances du nouveau parti. La bonne entente ne resta pas limitée à cette déclaration et conduisit à des résultats plus substantiels. Un rendez-vous fut pris entre les chefs de l’Alliance et ceux des Chevaliers du Travail pour le mois de janvier 1891 à Washington, en vue de constituer une ligue des travailleurs de la terre et des ouvriers des villes, l’union de la ferme et de l’usine contre le « pouvoir de l’argent. » Le 23 janvier, en effet, a été formée cette ligue, sous le nom de Confederation of industrial organizations, avec le programme d’Ocala. La première assemblée générale de la Confédération doit se tenir le 22 février 1892. Les événemens peuvent d’ailleurs déjouer ces projets dans lesquels règne une grande confusion. Tandis qu’en effet s’élaborait le plan de la Confédération, les chefs de l’Alliance songeaient à constituer une autre organisation politique sous le nom de National Union Party. Il s’agit ici de la formation d’un troisième parti, le parti du Peuple, comprenant toutes les associations de cultivateurs, les Chevaliers du Travail et toutes les organisations industrielles indépendantes, en un mot, tout ce qui, aux États-Unis, rêve une réforme sociale quelconque, et n’est pas satisfait de l’état présent des choses.

Ce serait le parti des mécontens. Ce boulangisme américain ne paraît pas destiné à prendre rapidement la cohésion nécessaire pour lutter contre les deux grandes organisations existantes. Une convention de l’Alliance avait été convoquée pour le 23 février à Cincinnati ; ajournée ensuite au 18 mai, elle s’est réunie en effet. Mais rien de définitif n’est sorti de ses délibérations nuageuses, et l’on ne voit pas encore que de ce foyer de protestations contre le