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esprit dans tous les autres ordres de dépenses, tels que les crédits pour les Indiens ou pour les ports et les rivières.

Voici en quels termes, d’une éloquence bien étrange, M. Cleveland a flétri le 12 mai dernier, devant l’association démocratique de Buffalo, ces débauches budgétaires du parti républicain. Le morceau est caractéristique, nous le traduisons littéralement :


Je crois que le spectre le plus menaçant qui se dresse aujourd’hui sur le chemin de la sécurité du gouvernement et du bonheur du peuple est l’extravagance impudente et maligne de nos dépenses publiques. Je crois qu’il est le plus funeste de toute la couvée meurtrière née de la perversion gouvernementale. Il cache sous ses ailes la trahison de la confiance du peuple ; il tient impuissantes sous la fascination de son regard la volonté et la conscience du peuple, et il exhibe aujourd’hui effrontément le congrès du milliard de dollars[1]. Il y a peu de temps encore, un large surplus restait dans le trésor public après acquittement de toutes les dépenses, qui n’étaient nullement fixées dans un esprit d’économie, et cet état de choses était présenté au peuple américain comme la preuve positive que la charge de taxation qu’on lui imposait était inique puisqu’elle n’était pas nécessaire. Et maintenant, lorsque la protestation populaire contre un tel état est encore retentissante, la harpie des dépenses extravagantes dévore le surplus et enjoint impudemment à ses victimes frappées de stupeur d’apporter de nouvelles et plus larges provisions pour la satisfaction de son appétit insatiable.

Il y a quelques années, l’état des pensions, s’élevant à 53 millions de dollars, était volontiers maintenu à ce chiffre par le patriotisme des citoyens. Aujourd’hui, l’extravagance publique décrète qu’une somme triple sera extorquée du peuple sous le prétexte que cette dépense est inspirée de l’amour du peuple pour le soldat. Il y a peu d’années un bill pour les rivières et les ports, concédant un ensemble de crédits de 11 millions de dollars, provoqua une véhémente clameur populaire ; aujourd’hui, l’extravagance publique demande des crédits de 202 millions de dollars pour le même objet, et le peuple reste silencieux. Aujourd’hui, des millions de dollars sont payés pour un subside éhonté et cela est approuvé ou concédé sur l’ordre de l’extravagance publique. Et ainsi un nouveau maraudeur est lâché, qui, en compagnie de son associé vicieux, le tarif, porte ses bénéfices, le produit de ses rapines, à des demeures favorisées par des intérêts égoïstes. Il n’est pas

  1. C’est, croyons-nous, le New-York Sun qui a le premier surnommé le 51e congrès le congrès du milliard de dollars (billion-dollar congress), parce que cette assemblée, pendant ses deux années de prodigalité extravagante, a voté un total de crédits de 1,006,270,471 dollars, soit 300 millions de plus que la moyenne des huit congrès précédens, et 210 millions de plus que le total des crédits votés par le 50e congrès.