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la lutte fut dirigée par M. Benjamin R. Tillman, un démocrate dont la popularité un peu usée s’est retrempée dans son accord avec l’Alliance. Il s’était donné pour tâche de représenter les principaux articles du programme de celle-ci comme des articles inhérens de la confession démocratique. Cette doctrine a été ratifiée en septembre par la convention d’état démocratique à Columbia, et la victoire l’a consacrée aux élections de novembre. Donc, dans la Caroline du sud au moins, les deux partis n’en font plus qu’un.

Mais le président de l’Alliance, M. le colonel L. Polk, ancien fermier de la Caroline du nord, placé par la convention de Saint-Louis (1889) à la tête de l’association, ne veut pas entendre parler de cette fusion complète avec un parti. L’Alliance compte aujourd’hui des organisations dans trente-cinq États. Elle est donc nationale, et son mot d’ordre est : « Guerre au sectionalism. » Les démocrates se trompent, déclare-t-il, en croyant que la victoire, aux dernières élections, a été gagnée par eux ou pour leurs principes. L’intérêt capital, pour l’Alliance, ce n’est ni le tarif douanier, ni le bill sur les élections fédérales, c’est la réforme financière. Le gouvernement doit accroître directement pour le peuple le volume de la circulation. La question se pose en ces termes : le peuple contre le dollar. Le dollar a régné assez longtemps, il faut que le peuple ait son tour.

Aux élections dernières, l’Alliance a assuré le succès d’un très grand nombre de démocrates, mais elle n’a fait passer que vingt à trente de ses propres candidats. C’est trop peu pour tenir la balance du pouvoir entre les deux partis dans une assemblée où les démocrates auront une si forte majorité ; mais c’est assez pour attester l’influence considérable qu’exercent dans le pays les idées et les tendances des classes agricoles.


VII

Ces idées et ces tendances se sont encore affirmées et précisées dans la deuxième convention annuelle de l’Alliance, tenue à Ocala (Floride), le Ier décembre 1890, trois semaines après les élections. Il faut toutefois remarquer que peu de délégués de l’ouest et du nord-ouest étaient présens à cette réunion. Bien que nationale par son titre et dans son objet, la convention a été composée surtout de délégués du sud. C’est un point qui ne doit pas être oublié lorsqu’on veut apprécier la portée exacte du programme de l’assemblée d’Ocala[1].

  1. Les organisateurs de cette réunion étaient peu expérimentés ; leur premier acte fut une querelle avec la presse. Début fâcheux pour un parti aspirant à la faveur populaire. On décida que les séances se tiendraient portes closes et qu’un « comité de la presse » donnerait des informations. Il se trouva naturellement que ce comité ne servit à rien. Après quarante-huit heures, on s’aperçut que ce que publiaient les journaux était précisément ce que l’on avait voulu tenir caché. Un second comité ne réussit pas mieux que le premier. Ses informations étaient régulièrement mises au panier, et les journaux, mystérieusement tenus au courant, imprimaient les détails les plus circonstanciés sur les délibérations les plus secrètes.
    La convention fut si indignée de son impuissance sur ce point qu’elle termina ses travaux par une résolution exprimant des remercîmens à tous et à toutes, les journalistes seuls exceptés. Le fermier du Tennessee qui proposa cette résolution ajouta que les délégués qui avaient fourni des informations à la presse étaient des « coquins, des menteurs, des drôles et des traîtres, » et ces paroles furent couvertes d’applaudissemens.