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l’Amérique elle-même. On ne pouvait nier, en tout cas, que le congrès n’eût fait de la politique américaine, ce que nul n’avait le droit de lui reprocher. Les États-Unis réglaient à leur gré leurs affaires fiscales, et l’Europe avait mauvaise grâce à ressentir l’exercice de cette liberté comme une insulte, parce qu’il contrariait ses intérêts.

Pendant quelques semaines, cependant, l’émotion a été extrême. Des cris d’alarme avaient été déjà poussés, en France et ailleurs, lorsque les chances d’adoption du bill avaient paru devenir sérieuses. Les colères se sont encore plus vivement déchaînées après que le nouveau tarif eut été mis en vigueur, le 6 octobre. Des voix s’élevèrent de tous côtés pour réclamer des gouvernemens européens des mesures de représailles. Les libre-échangistes dénoncèrent non-seulement l’énormité des nouveaux droits, mais encore le caractère draconien, presque sauvage, des règlemens du Customs administration bill. En Angleterre, en Allemagne, en Autriche, au Canada, tout ce qui produit, fabrique, travaille pour l’exportation, se sentant menacé, se proclama d’avance ruiné. Il semblait que l’Union américaine, qui n’avait fait que pousser à l’extrême l’application de ses propres principes, eût commis une violation du droit international, un crime contre la civilisation.

Les protectionnistes de tous pays, même les nôtres, ont fait chorus avec les libre-échangistes. A l’Amérique mettant à l’index les marchandises européennes, ils proposèrent de répondre par une union douanière de l’ancien monde, une fédération économique d’États supprimant entre eux ou atténuant les droits d’entrée pour les produits les uns des autres et s’entourant tous ensemble d’une ceinture de prohibition contre tous les produits américains. La France fut sollicitée de prendre la direction du mouvement et l’initiative de la constitution de cette ligue douanière. Elle n’en fit rien, fort heureusement. Quel marché de dupes nous eussions passé si le gouvernement français s’était laissé engager dans une telle aventure !

Le bill Mac-Kinley est en vigueur depuis plusieurs mois, tout ce bruit est tombé : les exportations d’Europe aux États-Unis ne paraissent pas avoir subi une diminution bien sensible. Il est aisé de voir que les mesures de représailles que nous aurions été tentés d’adopter seraient retombées sur nous-mêmes. Avant d’en chercher la preuve dans le détail de nos échanges commerciaux avec les États-Unis, examinons ce qu’est le bill tant critiqué et quelles modifications essentielles il introduisait dans l’ancien tarif américain, le tarif révisé de 1883, déjà si protectionniste.

Les caractères généraux du bill Mac-Kinley sont : l’augmentation des droits sur les produits manufacturés, le maintien au taux précédent, l’abaissement ou même la suppression complète des