Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique domestique, chacune est souveraine dans cette sphère et ne doit supporter aucune intervention extérieure. Nous exerçons ce droit fondamental pour nous-mêmes, repoussant toute intrusion du dehors, et nous accordons aux autres nations ce même droit de ne supporter aucune intrusion de notre part. Nous croyons que le système américain est le mieux adapté à notre régime politique et à notre civilisation, et nous sommes soutenus dans cette croyance par la succession des plus hautes autorités américaines, depuis George Washington, à travers une expérience déjà séculaire.


III

Les manifestations de mécontentement auxquelles a donné lieu en Europe le vote des deux bills étaient d’autant plus exagérées et hors de propos qu’elles émanaient de pays tous ou à peu près déjà protectionnistes ou disposés à se rallier au système de la protection. L’Angleterre seule, en sa qualité de nation libre-échangiste, était sérieusement fondée à se plaindre du sort préparé à ses manufacturiers par le cousin Jonathan. Encore allait-on trop loin dans certaines assertions qui attribuaient à la nouvelle législation douanière des États-Unis une intention d’hostilité réfléchie et consciente contre la Grande-Bretagne. Il est clair que les auteurs du bill ont voulu fermer la porte aux produits manufacturés étrangers. Pendant plusieurs mois, le congrès a travaillé à donner satisfaction, par un enchevêtrement extraordinaire de compromis et de compensations, à toutes les industries indigènes qui sont venues successivement faire retentir les couloirs du Capitole de leurs doléances, ou mieux de leurs exigences, et réclamer une protection. Les droits ont été élevés au point où on devait les supposer prohibitifs, dans tous les cas où il s’agissait d’articles de production générale aux États-Unis. Les négocians et les usiniers d’Europe peuvent regretter qu’un esprit aussi outré d’exclusivisme règne chez leurs confrères américains ; mais était-il raisonnable que ce regret affectât le ton de l’indignation ? En quoi l’Amérique manquait-elle à ses devoirs envers l’Europe ? N’était-elle pas libre de relever son tarif, aussi bien que la Russie, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et la France ? Les grandes colonies anglaises, le Canada, l’Australie, n’en avaient-elles pas fait autant à l’égard de la métropole ?

Sans doute, les États-Unis dépassaient toute mesure. Il ne s’agit plus, disait-on, d’un tarif, mais d’une muraille de Chine, d’une rupture voulue des relations commerciales, d’une sorte de blocus de l’ancien monde. A supposer que tout cela fût réel, on pouvait estimer que le congrès faisait de la mauvaise politique économique, que son œuvre ne serait pas viable, qu’elle serait néfaste à