Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans aucune diminution des récompenses de leur travail. Trente années de protection nous ont amenés du plus bas au plus haut rang du progrès industriel, ont donné à notre agriculture un marché national sans rival sur la surface du globe…

Nous avons des vêtemens bon marché ; ils sont tissés ici, la laine a. été produite ici, la main-d’œuvre nécessaire a été employée ici, les machines ont été fabriquées ici, les salaires payés ici, le prix d’achat est resté ici : tous ces élémens contribuent au bien-être et à la prospérité du peuple…

Qui a raison, du gouvernement anglais ? dont les colonies et les-dépendances, à l’exception de deux seulement, ont des tarifs protecteurs, non-seulement applicables aux autres nations, mais dirigés contre l’Angleterre elle-même ; ou du reste du monde civilisé ?

Faisons l’appel des nations. Du côté de la protection, l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, le Mexique, le Canada, l’Amérique du Sud, le Portugal, le Danemark, la plus grande partie de l’Australasie, la Suisse, l’Autriche-Hongrie, la Suède et la Norvège, les États-Unis.

Qui trouvons-nous contre la protection ? La Grande-Bretagne, la-Nouvelle-Galles du Sud, la Nouvelle-Zélande.

Pour la protection, 430 millions d’êtres humains ; contre la protection, 38 millions de Britons, auxquels il faut ajouter ces Américains-dont le nombre est inconnu, qui, vivant sous notre drapeau, semblent en suivre un autre.


M. Mac-Kinley en veut surtout à ce mot d’ordre des libre-échangistes : le bon marché des marchandises. Il ne veut pas qu’en Amérique s’établisse le règne du bon marché. Avec MM. Blaine et Lodge, il répète : cheap goods, cheap men, rapprochement ingénieux de mots aussi brefs qu’expressifs, mais puéril en fait, sans signification, puisque la seule signification qu’on lui pourrait attribuer est celle-ci, qui est absurde : là où les marchandises sont bon marché, les hommes ne valent pas cher.


Nos réformateurs du tarif ne rêvent que vêtemens et chaussures à bon marché. Nous autres, nous voulons aussi le bien-être des travailleurs qui font ces vêtemens et ces chaussures, qui produisent la laine et le tissu, les peaux et le cuir. Le bon marché, qui se paie au prix de la réduction de la main-d’œuvre nationale, est une cherté extrême ; c’est la plus coûteuse des transactions, le moins profitable des échanges. Le pays le moins prospère est celui où le bon marché des denrées n’est obtenu que par l’avilissement des salaires.

Nous ne chicanons pas l’Angleterre sur son système fiscal. Elle est libre d’adopter celui que ses hommes d’Etat considèrent comme le mieux approprié à son bien-être. Chaque nation doit fixer sa propre