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Il y a bien de la sauvagerie dans cet exclusivisme national qui va droit au but sans voir les obstacles, sans deviner les périls. M. William Mac-Kinley et ses collègues, dans leur croisade contre la concurrence des marchandises du dehors, ne se sont pas dit que, si les États-Unis cessaient d’acheter à l’Europe, ils risquaient fort de ne plus lui vendre bientôt ni coton, ni blé, le commerce ne vivant que d’échanges. Il a fallu que M. Blaine le vît pour eux et parât, au dernier moment, aux absurdités trop manifestes du bill, par l’introduction de sa clause de réciprocité à l’aide de laquelle tomberont peu à peu tant de barrières artificielles.

Mais il y a aussi quelque grandeur dans cette conception d’une Amérique complètement indépendante, prétendant n’avoir plus rien à demander à l’Europe et se suffisant à elle-même avec les produits infiniment variés de son immense territoire. Il faut entendre sur ce point M. Mac-Kinley, lui-même, parlant de son bill, au lendemain même du soufflet donné au parti républicain par le suffrage universel, alors que ses propres électeurs l’ont renié dans l’Ohio, où cependant, en octobre, après la séparation du congrès, il avait fait une rentrée triomphale. Sa défaite ne l’a ni abattu ni désabusé. Il la regarde comme un accident passager. Déjà il prépare sa candidature au poste de gouverneur de l’Ohio, et on affirme qu’il sera un des postulans de 1892 pour la présidence. Le 13 février dernier, à Toledo, un banquet lui est offert par la ligue républicaine de l’Ohio : il y tient ce langage où des choses excellentes et sensées sont si curieusement mêlées à des choses absurdes et chimériques :


La victoire des démocrates a démontré l’existence d’une association contractée entre les chefs libre-échangistes du parti aux États-Unis et les hommes d’État et les classes gouvernantes de la Grande-Bretagne. C’est une alliance puissante, une combinaison résolue et agressive… Ces alliés combattent pour la même cause antipatriotique, ils sont engagés dans la même croisade contre nos industries ; ils se réjouissent ensemble de leur commune victoire. Ils ont fait la guerre au travail américain et aux salaires américains, conspiré contre la vie industrielle de la nation, porté un coup à la république américaine. Est-il étonnant, dans ces conditions, que le chef de nos libre-échangistes, M. David Wells, du Connecticut, se soit cru contraint d’aviser ses associés de l’autre côté de l’Atlantique, d’être plus circonspects dans leurs démonstrations de joie ?

L’invention de machines perfectionnées et de procédés nouveaux, suscitée par nos conditions industrielles et rendue possible par nos lois protectrices, a amélioré les produits de nos manufactures et placé les articles de confort et de nécessité à la portée des masses,