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élémens architecturaux, orchestiques, musicaux, la pratique entière du théâtre. Une chose est certaine : c’est que tout ce qui nous est connu de la littérature dramatique de l’Inde est postérieur sinon à la rédaction du livre qui nous est parvenue, au moins à la constitution définitive des théories qu’il expose. C’est sous l’empire de ces théories, sous la préoccupation de ces enseignemens, qu’ont été composées toutes les pièces qui nous sont accessibles.

Est-ce à dire que l’invention et les lois du théâtre soient, dans l’Inde, tombées un beau jour du ciel ? Nous laissons cette explication aux Hindous. A priori, il est indubitable, il est certain, en fait, que la théorie même la plus ancienne, celle de Bharata, se règle sur une littérature préexistante. Nous essaierons de jeter un coup d’œil sur ce passé. Il nous faut auparavant rassembler quelques notions sur la période historique et documentée.


III.

Les littératures antiques et les littératures modernes de l’Occident nous apparaissent comme le libre épanouissement de l’esprit national ; à toutes les époques de son développement, à travers les circonstances qui le modifient, elles en reflètent les progrès et les défaillances. Tout autre est la situation dans l’Inde. Avec un tour de génie très particulier, l’Inde ne nous présente pas le spectacle d’un esprit national vivant d’une vie collective, s’exprimant dans des œuvres spontanées, témoins et contemporaines de ses évolutions. Le mélange profond de races très inégales, le régime et la hiérarchie des castes, ont, entre autres causes, imprimé ici à la littérature un aspect très particulier.

C’est autour d’une tradition religieuse, à la conserver et à la servir, que s’est, dans la période ancienne, exercée l’activité littéraire, toute concentrée dans les mains de la caste brahmanique. Quand le mouvement naturel de l’esprit, les conflits religieux, les frottemens extérieurs la firent déborder de ce cadre trop étroit et retendirent au domaine profane, elle resta le privilège d’une classe fermée, jalouse de son monopole, portée par l’habitude à consacrer sur ce terrain nouveau une régularité scolastique qui était passée dans ses besoins. C’est de cette association d’une expérience ancienne et de nécessités nouvelles qu’est sortie la littérature classique de l’Inde. Adulte et disciplinée dès le premier jour, elle n’a connu ni l’indépendance ni la spontanéité de la jeunesse. Sa langue a été non pas tant une langue morte qu’une langue à plusieurs égards artificielle, qui peut-être n’a jamais eu de vie véritable en dehors des écoles. Ce qu’un pareil instrument empor-