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de cas particuliers. Même pour les genres précédens, la même préoccupation se fait jour ; le nombre précis d’actes, de personnages, stipulé pour plusieurs est sûrement une généralisation assez arbitraire de faits isolés. Pour le drame surnaturel, la durée de chacun des trois actes est même prévue à une minute près. Ces vices d’une classification sans principe s’accuseraient plus encore dans l’énumération des genres secondaires. M. Lévi le remarque justement, toutes les pièces qui nous sont connues se répartissent facilement en cinq catégories : grande comédie, comédie bourgeoise, petite comédie, farce et monologue. La petite comédie, nâtikâ, est consacrée à un amour royal, le héros étant un roi célèbre, l’héroïne une ingénue de sang royal que le prince finit par épouser.

Dans les personnages et leurs caractères, même fixité que dans la structure des pièces. Ils sont presque invariables dans chaque genre donné. Ce ne sont pas des individus dont les passions, les goûts, le tempérament se développent librement au contact des incidens et de la vie ; ce sont des types toujours semblables, placés dans des conditions toujours à peu près identiques.

Le héros est orné de tous les agrémens, de toutes les perfections ; et les traités ne se font pas faute de les énumérer. Que la gaîté, la dignité, la grandeur d’âme ou l’emportement domine dans son rôle, il est toujours de noble allure ; il reste toujours semblable à lui-même et tous les traits prêtés à sa physionomie n’ont d’autre objet que de mettre en relief ce caractère dominant. Il n’en est pas autrement de l’héroïne ; elle est invariablement amoureuse : mais, ingénue, coquette ou courtisane, elle sera toujours un exemplaire accompli, suivant l’idéal hindou, du type qu’elle incarne. C’est tout ce qui nous importe. Nous ne discuterons pas avec les théoriciens la question de savoir si c’est vingt ou vingt-huit grâces naturelles qu’elle possède. Ils ont mené loin leur statistique des héroïnes de théâtre ; de divisions en sous-divisions, ils sont arrivés à en discerner trois cent quatre-vingt-quatre espèces.

Si la poétique du théâtre était dans l’Inde l’œuvre tardive, solitaire, de quelques abstracteurs de quintessence, ces bizarreries mériteraient peu qu’on s’y arrêtât. Elle a des prétentions plus hautes. Le représentant le plus ancien de cette littérature, le manuel qui en est resté le modèle autorisé, que les écrivains postérieurs n’ont fait que résumer ou commenter, se donne comme l’œuvre de Bharata, le maître des Apsaras, les danseuses du ciel d’Indra. Inventeur divin de l’art dramatique, il en aurait dans son code transmis les lois à la terre. Nous ne saurions suivre si loin ni si haut la tradition ; mais nous ne sommes pas encore en état de préciser la date où remonte soit la composition, soit la rédaction définitive de ces règles versifiées qui embrassent jusque dans ses