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a survécu. Les événemens se sont joué et se jouent encore des prévisions légères ou intéressées.

Il y a trente ans, que n’a-t-on pas dit de cette crise où la papauté s’est trouvée engagée, que les uns redoutaient, que les autres saluaient comme la fin de l’institution pontificale elle-même ! La papauté, on n’en doutait pas, allait périr, tout au moins être singulièrement diminuée en perdant son pouvoir temporel ! — Eh bien ! non, la papauté n’a pas péri. Elle n’est pas sortie, sans doute, de toutes ses crises, — elle les a traversées jusqu’ici sans en être atteinte dans son essence ; elle a perdu son petit patrimoine mondain, elle a gardé sa puissance morale dans ce fragment de terre illustre qui s’appelle le Vatican. Les plus grands états l’ont invoquée comme arbitre dans leurs différends et lui ont dû la paix dans leurs relations. Par son action toujours vivante sur les catholiques du monde, elle oblige les gouvernemens à compter avec elle. Plus d’une fois, elle a eu une influence inaperçue dans les négociations les plus délicates. Bref, on a besoin de son concours et on sent encore qu’on ne s’en passerait pas impunément, même dans des questions de diplomatie qui touchent aux plus sérieux intérêts extérieurs de certaines nations. La vitalité du pontificat n’a cessé de s’attester : il est prouvé qu’elle est indépendante des vieilles conditions temporelles. Les prophètes se sont trompés ! D’un autre côté, il y a moins de trente ans, la papauté semblait encore figée dans son immutabilité, enchaînée par des traditions surannées, irréconciliable avec les idées modernes, éternellement liée par son Syllabus : on le croyait ainsi, on le disait ! Eh bien ! non, on s’est encore trompé. La papauté n’était pas morte, elle ne veut pas non plus être immobile, et depuis plus de dix ans, avec un pontife à l’esprit aussi mesuré que pénétrant, elle est rentrée dans les affaires du siècle. Léon XIII a tenu à prouver qu’il n’était pas un pape irréconciliable, étranger aux préoccupations du monde, qu’il pouvait, lui aussi, marcher avec son temps. Il a saisi depuis quelques années toutes les occasions d’intervenir, et par sa récente encyclique, il s’est jeté au plus épais de cette bataille engagée aujourd’hui pour les conditions du travail. C’est un signe de plus de ce mouvement auquel n’échappent ni les nations, ni les gouvernemens, ni le pontificat lui-même.

Assurément cette encyclique, jetée dans le grand débat qui occupe le monde, est par elle-même un acte d’une nouveauté singulière et caractéristique, l’acte d’un pape qui ne se désintéresse d’aucun des problèmes humains. Léon XIII, dans son savant exposé de cette épineuse question ouvrière qui touche à tant d’intérêts à la fois, à la propriété et aux conditions du prolétariat, aux devoirs de l’État comme aux droits de la liberté, à la vie morale comme à la vie matérielle des hommes, Léon XIII ne néglige rien. Il étudie tout, les relations des